Ce à quoi on ne pense pas

1 avril 2021 | Par Jacques Quintin | Philosophie, vol. 19, no 2

La pandémie de la Covid-19 met en scène plusieurs tensions entre différentes idées. Par exemple, il y a une forte croyance au caractère sacré de la vie. Tout doit être mis en place pour préserver la vie. Dans ce cadre de pensée, il est normal qu’on fasse de nos soignants des héros. Ils se battent pour la vie à tout prix. On agit comme si la vie était une fin en soi au lieu d’être un moment en vue de l’accomplissement de soi.  

Cette perspective entre en tension avec une approche propre à la pensée comptable de l’utilitarisme où l’être humain vaut, à la limite, une boîte de conserve de petit pois. Les statistiques nous informent que plus de 75% des personnes qui décèdent de la Covid-19 sont âgées de plus de 80 ans avec de nombreuses comorbidités, de sorte que ces personnes auraient probablement trouvé la mort à l’intérieur des deux années suivantes. On en arrive à la conclusion qu’il y a un énorme déséquilibre dans notre investissement. Dans ce cas, il serait préférable de sacrifier quelques personnes pour un meilleur bénéfice pour l’ensemble de la population. L’enjeu consiste à bien répartir les ressources lorsque celles-ci sont limitées.  

On pourrait aussi se demander si ce n’est pas dans l’ordre de la nature qu’une partie de ses éléments, autant au niveau des forêts que du monde animal, doive mourir afin qu’elle puisse atteindre un meilleur équilibre permettant sa propre régénération. La mort est une partie intégrante de la vie. Respecter la vie comme processus naturel, c’est accepter la mort comme passage obligé.  

Il y a aussi un autre présupposé : l’idée que tout doit être fait, surtout si nous avons les moyens pour le faire. Les moyens dictent la finalité. Parce qu’on peut prolonger la vie avec des moyens techniques prodigieux, nous croyons que nous devons le faire.  

On peut voir dans ces différentes perspectives un mécanisme de défense contre la souffrance. On s’invente des croyances pour ne pas affronter l’abîme de l’existence humaine qui renvoie au fait qu’on ne sait pas ce qu’est la vie humaine.  

Alors, pour sortir de ces tensions, il convient de passer par un questionnement sur le sens de la vie, de la maladie, de la souffrance et de la mort. On ne pourra jamais prendre des décisions libres et éclairées si nous ne nous rendons pas disponibles à la dimension abyssale au cœur de chaque être humain.  

La mort est encore un tabou aujourd’hui. Ce qui l’est davantage, c’est l’idée que l’existence est faite de perte et marquée par la finitude. Et ça, on ne veut pas l’entendre. On veut tout avoir.  

Il semble que l’une de nos difficultés provient du fait qu’on s’appuie sur une seule valeur au lieu de les mettre en dialogue. Il ne s’agit pas de trouver une solution miracle, mais de commencer par apprendre à poser des questions de sens et avec l’idée que le sens de la vie demeure une énigme. 

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