Tant de crimes qui passent inaperçus
Lorsqu’on a demandé à Dany Laferrière pourquoi il avait écrit Petit traité sur le racisme, sa réponse a fusé : il voulait mettre de la chair et de la douleur dans cette tragédie qu’est le racisme. Il voulait aussi rappeler que quand quelqu’un est assassiné dans les rues américaines (à cause de la couleur de sa peau) ou quand il est victime d’agression dans les salons (pour la même raison), c’est un être humain qu’on tue, et non un concept. Tant de crimes passent inaperçus!
Petit traité sur le racisme n’est pas une thèse sur le racisme. C’est un cours d’histoire en accéléré, un patchwork d’histoires courtes à glacer le sang, un album photos qui nous amène à faire un retour en arrière sur les premières manifestations raciales aux États-Unis. En effet, par petites touches impressionnistes, Laferrière dresse un tableau atterrant de la réalité de nos frères noirs, victimes d’esclavage et d’injustices de toutes sortes au fil des siècles. Il nous entraîne à la rencontre incontournable d’événements concernant des personnalités célèbres (Martin Luther King, Malcom X, Frantz Fanon et bien d’autres) et de grandes voix (les Nina Simone, Toni Morrison, Angela Davis, maya Angelou, etc.). Clin d’œil ici à la culture noire des États-Unis.
Laferrière fait aussi remonter à la surface d’autres histoires terribles : ségrégation, lynchage, rituel de pendaison auquel on oblige même les enfants à assister. Dans une série de très courts textes, parfois présentés en quelques lignes poétiques mais non moins percutantes, l’auteur démontre avec des faits historiques les ravages de ce mal insidieux qui n’en finit plus de se répandre au point d’empoisonner la vie. Peur de la police, peur de la noirceur, peur de mourir à cause de la couleur de sa peau. Le phénomène est loin d’être éradiqué. Rappelons-nous George Floyd assassiné sous le genou d’un policier blanc, les KKK, la montée du suprémacisme blanc américain; souvenons-nous de l’enfant noir qu’on vise dans le dos alors qu’il fouillait dans ses poches à la recherche de bonbons; rappelons-nous les manœuvres machiavéliques de J. Edgar Hooper, le fondateur du FBI et Big Brother de l’époque ; et, n’oublions jamais les émeutes de Tulsa, (il y a exactement 100 ans cette année) l’un des pires déchaînements de haine meurtrière contre les Afro-Américains.
Laferrière avoue qu’il n’aime pas parler au nom des gens, mais il le fait ici avec la sensibilité qu’on lui connaît. Il parle pour eux parce que les morts ne peuvent pas raconter. Petit traité sur le racisme a le pouvoir de les ressusciter.