Les ruines
La ville était en ruines. Les immeubles qui jadis s'élevaient au ciel telles des tours de verre gisaient aujourd'hui en pièces, leurs cristaux éclaboussés sur l'asphalte comme les larmes d'un géant. Des fleurs poussaient maintenant entre les fragments; des couronnes funéraires à l'hommage des gargantuesques cadavres.
Il ne restait des titans que leurs os, d'énormes structures de métal et béton, qui tenaient encore malgré les intempéries, mais qui étaient maintenant presque entièrement dévorés; où il n'y avait avant que de l'acier et de la roche, aujourd'hui poussait une végétation qui couvrait les nuances de gris et d'argent de verts et de bruns.
Certains immeubles avaient été chanceux et n'avaient été que partiellement consommés; on pouvait encore deviner leurs cartilages ferreux sous les couches de mousse et de champignons. Mais certains moins fortunés avaient succombé à la nature envahissante, tellement que dans certains cas, des édifices avaient été soulevés de leurs fondements par les racines d'arbres qui poussaient sur leur plancher. Les branches s'enlaçaient aux carcasses des bâtiments comme des vicieux reptiles attrapaient leurs proies et les feuilles naissaient tellement collées sur les murs qu'il était difficile de distinguer le ciment de l'écorce.
Or malgré la destruction, la cité était encore habitée.
Des milliers d'animaux avaient pris résidence dans les ruines. Des oiseaux avaient bâti leurs nids au sommet des gratte-ciels et des colonies d'insectes se formaient sous les rues pavées; des chiens – autrefois domestiqués – chassaient aujourd'hui en meute et les rongeurs – jadis vus comme des pestes – erraient maintenant libres.
Les humains étaient tous disparus, mais une infinité d'autres êtres, toutes espèces, toutes formes et de toutes tailles avaient pris leur place et occupé leur espace de façon plus harmonieuse.
Des milliers de vies s'étaient transformées en milliards.
La ville était en ruines, certes.
Mais elle était plus vivante que jamais.