Maggie Sirois, reine des femmes fortes

2 décembre 2023 | Par Gabriel Martin | Culture, Femmes, Histoire, vol. 21, no 6

Au Québec, le nom de Louis Cyr, l’homme fort qui a fait la fierté du Canada français à la fin du XIXe siècle, perdure dans la mémoire collective. Des livres, un film à succès, un monument et des toponymes l’honorent avec éclat. À la même époque que le célèbre hercule canadien vivait sa compatriote Maggie Sirois, une femme forte aujourd’hui méconnue, bien qu’elle fût de calibre comparable.

Gravure d’époque de Maggie Sirois, qui reproduisait le célèbre tour de force de Louis Cyr.

Marie-Arthémise Sirois nait le 3 septembre 1865 à Sainte-Anne-de-la-Pocatière. En 1882, elle déménage avec ses parents en Nouvelle-Angleterre, à la recherche d’un avenir plus prospère. Elle prend rapidement le surnom de Maggie, qui marque le passage vers sa nouvelle vie. En 1884, elle se marie avec Henri Cloutier, un athlète originaire des Cantons-de-l’Est. En choisissant de s’unir à ce Canadien français protestant, elle s’associe à une confession relativement marginale dans sa communauté linguistique, ce qui préfigure un parcours d’exception, volontiers à contrecourant.

Une dizaine d’années plus tard, un évènement pivot ne tarde pas à mettre en lumière la puissance musculaire prodigieuse de Maggie. Alors qu’elle circule dans le gymnase de son mari, elle aperçoit quelques hommes qui s’évertuent vainement à soulever une plateforme sur laquelle sont déposés 400 livres d’haltères. Goguenarde, elle leur dit qu’elle serait facilement capable de lever cette charge. Interloqués, ils lui demandent de prouver ses dires. Maggie s’exécute sans difficulté sous leurs regards ébahis. La nouvelle se répand et on exhorte l’Athéna à cultiver sa force surnaturelle en vue d’en tirer profit, ce à quoi elle s’affaire sur-le-champ.

En 1895, Maggie se sent prête. Elle part alors en tournée avec Henri dans le nord-est des États-Unis et au Québec. Après des débuts relativement difficiles, le succès point à l’horizon. Maggie fascine notamment les foules en retenant deux chevaux avec ses bras, à la manière de Louis Cyr. Consciente de sa force hors du commun, elle se déclare sans hésiter la « reine des femmes fortes ».

Le 19 novembre 1897, alors que Cyr est de passage sur scène à Lowell, Maggie le met publiquement au défi. L’homme fort, empreint des préjugés du temps, tourne cependant la demande en ridicule et refuse, prétextant qu’une femme ne pourrait pas l’égaler. Le lendemain, Maggie revient à la charge dans les journaux. Toutefois, les médias ne lui prêtent qu’une oreille distraite et l’affrontement qu’elle réclame avec son intouchable homologue masculin n’a jamais lieu.

Malgré ce revers, Maggie ne se laisse pas abattre. Après s’être séparée d’Henri aux alentours de 1905, elle poursuit ses activités de manière indépendante. En 1910, elle impressionne particulièrement le public de Sherbrooke en retenant sur place deux voitures qui roulent en sens opposés.

Maggie se démarquait par son aplomb naturel tout autant que par sa puissance corporelle. Elle était l’incarnation même de la gynilité, c’est-à-dire de la force intérieure caractéristique d’une femme autonome, en phase avec elle-même. Vivant à une époque où l’on qualifiait encore sans ironie les femmes de « sexe faible », elle a certainement ébranlé quelques préjugés grâce à ses exploits et à son caractère affirmé.

Sa pierre tombale, située à Roxton Pond en Estrie, rappelle que le Québec a peut-être été, à une certaine époque, le berceau de « la femme la plus forte du monde ».

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