Lorsque la notion de respect nuit au service social

4 avril 2024 | Par Tahnie Parent | Communautaire, vol. 22, no 2

Le respect est sans contredit une valeur essentielle au bien-être de l’humanité. Tout le monde prône le respect, un besoin aussi fondamental que celui de reconnaissance, d’amour, de liberté, de choix, d’ordre, d’affection, d’abri, de nourriture, de considération, de paix et j’en passe, car la liste des besoins est longue, universelle et légitime.

Tous les besoins s’équivalent et pourtant la tangente actuelle de notre société est de mettre beaucoup d’emphase sur le respect. Malheureusement, en tant qu’intervenante, j’observe que c’est bien souvent au détriment de la livraison des services essentiels, dits de base, dont dépend la survie de nos usagers les plus vulnérables.

Ma grand-mère a fini ses jours en démence dans un CHSLD. La dernière fois que je l’ai vue, elle m’a traitée de sale chienne. Sur le coup, j’ai été saisie. J’aurais pu réagir de différentes manières, mais je savais que la maladie mentale était en jeu et que je ne devais pas le prendre personnel. Je l’ai regardée tendrement dans les yeux et je lui ai dit en rigolant : « Grand-maman, voir qu’un jour tu aurais pensé que tu traiterais ta petite-fille de sale chienne ». J’ai vu passer un éclair de lucidité dans ses yeux, et c’est là que j’ai compris.

J’ai compris que pour œuvrer auprès d’une population en situation de précarité, aussi vulnérable que les sans-abris, les personnes souffrant d’une maladie mentale ou aux prises avec une consommation addictive, et même les tout petits enfants, il faut être en mesure de dépasser la notion de respect. Le respect dans une situation d’urgence, en état de crise, est secondaire. Quand tu ne sais pas où tu vas dormir ce soir, ce que tu vas manger, ni si tu as assez d’argent pour finir le mois, il se peut très bien que ton système nerveux soit échaudé. Pour œuvrer auprès de cette population, et je dis bien pour œuvrer, il faut être d’abord en mesure d’entendre l’appel à l’aide et la souffrance derrière l’insulte, l’injure, l’impatience, le geste déplacé. Certes, pour faire abstraction du comportement dit agressif, il faut accepter de se mettre de côté, mais de quoi a-t-on à se plaindre lorsqu’on a une sécurité de revenu et un lit douillet qui nous attend chaque soir? Afin de venir en aide véritablement et de fournir une assistance adéquate, il faut être en mesure de voir l’humanité qui habite chaque individu et de lui redonner de la dignité. À ce moment seulement pourrons nous évoquer la notion de respect, car le respect se cultive à coup d’écoute, de compassion, de réciprocité, de patience et d’amour, pas à coup de mesures disciplinaires et de sanctions.

Tahnie Parent, intervenante à la Chaudronnée de l’Estrie

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