Les origines du québécisme nic

8 octobre 2024 | Par Gabriel Martin | Linguistique, vol. 22, no 5

Au Québec, quelques personnes utilisent parfois nic plutôt que nid et parlent donc de nics d’oiseaux et de nics de guêpes. Une technicienne en documentation de l’Université de Sherbrooke, qui a dépouillé en vain les sources à sa disposition, me demande d’éclairer les origines de cet emploi particulier.

La forme nic est attestée au XVIe siècle chez Rabelais, dans ce passage farfelu et comique, où un personnage tente de révéler une écriture invisible inscrite sur une feuille, en la frottant ridiculement avec la cendre d’un nid d’hirondelle : « [Il] en frotta ung coing de cendres d’ung nic de Arondelles, pour veoir si elle estoit escripte de la rousée qu’on trouve dedans les pommes de Alicacabut. » ▪ Source : Gallica. Domaine public.

Aujourd’hui plutôt rare, l’emploi de nic était usuel chez les locuteurs canadiens- français nés au tournant du XXe siècle. La vitalité de cette forme très familière, autrefois attestée sur l’ensemble du territoire québécois, était un peu plus marquée à l’est de la province, à en croire les données du Parler populaire du Québec et de ses régions voisines (volume 3, question 608).

Une recherche dans les bases de données spécialisées révèle que nic était déjà employé par nos ancêtres au milieu du XIXe siècle. L’Index lexicologique québécois signale notamment sa présence dans le Dictionnaire des barbarismes et des solécismes, un ouvrage correctif imprimé à Montréal en 1855, qui enregistre la variante graphique nique comme équivalent de nid d’oiseau.

Bien qu’on l’assimile souvent à une création populaire canadienne-française ou québécoise, nic est en fait un héritage ancien des parlers de France. On le retrouve au XVIe siècle chez des écrivains préclassiques comme Clément Marot, Jean Vauquelin de La Fresnaye, Roger de Collerye ou encore Rabelais. Il est par exemple question d’un nic de Arondelles (c’est-à-dire d’un nid d’hirondelle) dans l’édition princeps de Pantagruel, publiée en 1532. Ainsi, nic était déjà employé en France à l’époque où Jacques Cartier explorait le golfe du Saint-Laurent et posait les fondations de la Nouvelle-France.

Par ailleurs, le Glossaire du parler français au Canada, une importante compilation publiée en 1930, note la présence de nic dans les zones dialectales de l’Ardenne, de l’Aunis, du Bas-Maine, de la Bretagne, de la Normandie, du Poitou et de la Saintonge. Ces données suggèrent que cette forme provient des langues d’oïl et qu’elle était surtout employée dans le nord-ouest de la France.

Les origines exactes de la forme nic, qui adjoint le son [k] à nid, demeurent à ce jour incertaines. Cependant, selon le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), « -k a probablement été introduit comme consonne de liaison » (article nidus, traduction libre), c’est-à- dire grosso modo que l’utilisation d’un c à la fin du mot n’est probablement pas étymologique, mais qu’elle servirait plus vraisemblablement à en faciliter la prononciation. Toujours selon le FEW, l’influence du latin vulgaire *nidicare « faire son nid », qui est l’étymon de nicher, aurait tout de même pu contribuer à l’ajout d’un c à nid.

Aujourd’hui, la forme standard nid est beaucoup plus fréquemment attestée au Québec que sa variante d’origine dialectale nic. Cette dernière demeure cependant relativement vigoureuse dans le phrasème populaire nic à feu, qui désigne figurativement un endroit propice à l’éclosion d’un incendie.

En résumé, le québécisme nic est un conservatisme lexical hérité du français préclassique et des dialectes d’oïl. Attesté à Montréal au XIXe siècle, l’emploi a probablement traversé l’Atlantique avec les premiers colons français pour s’enraciner dans le parler canadien- français. Désormais assez marginal et surtout limité à des contextes très informels, il subsiste tout de même avec un peu plus de vigueur dans la construction nic à feu.

Gabriel Martin, linguiste

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