Quand je lis, je suis
J’aime lire. Vous pouvez le vérifier auprès de mon libraire. Je retire un grand plaisir à visiter les librairies à travers le monde. Je pense que, comme société, nous avons le devoir de transmettre cette passion à nos enfants. Car c’est dans l’imaginaire que l’être humain trouve son âme, qu’il entre en dialogue avec lui-même et toute l’humanité qui le porte. Sinon, le risque est grand de souffrir d’une indolence de la pensée. Inutile de dire que c’est notre capacité à réfléchir, à comprendre, à critiquer et à apprendre qui se réduit comme une peau de chagrin.
Il ne s’agit pas de devenir des savants en lisant une pléthore de livres. La force de la lecture réside dans sa capacité à nous ouvrir les portes de l’imaginaire et à s’adresser directement à notre intelligence. Dans chaque fiction, on découvre tout un monde.
L’une des choses les plus intéressantes avec la lecture est le rapport au temps. Lire c’est entrer dans une autre dimension temporelle. Une lenteur s’installe. C’est peut-être cela vivre dans le présent! En même temps, si on prend deux minutes pour lire un court texte, on a l’impression qu’on manque de temps ou que le temps passe trop vite. Je pense à toutes les fois où je dis : « donne-moi une minute de plus afin que je puisse terminer la page ».
Pour chaque occupation plus ou moins nécessaire, je fais le calcul du temps perdu qui aurait pu être consacré à la lecture.
Chez les Grecs anciens, le temps de la lecture était désigné par le mot scholè, à l’origine des mots école en français et school en anglais. Il s’agissait d’un temps de loisirs, un temps à ne rien faire. Pourrions-nous imaginer une école qui mettrait l’accent sur la lecture? Nous apprendrions la botanique, la géographie, la médecine, l’architecture en lisant des œuvres littéraires. Apprendre en perdant son temps!
Certes, la littérature est importante, mais ce qui compte le plus, c’est le partage de nos interprétations, ce à quoi le texte nous donne à penser. À travers ce dialogue, notre interprétation s’enrichit du commentaire des autres. Notre perspective s’en trouve élargie. Dans ce cas, la vérité ne repose pas sur l’exactitude de ce qui est raconté, mais sur le dévoilement du monde dans lequel nous vivons et pensons.
La chose qui me désole le plus, c’est de voir toutes ces belles grandes maisons et ces écoles sans aucune bibliothèque à l’intérieur. C’est comme si on ne développait aucune curiosité pour autrui, rendant du coup possible l’intolérance et la violence.
Nous voyons de plus en plus, sur le bord des rues, ces boîtes à livres qui offrent la lecture à tous et toutes, et cela gratuitement. Je prévois fabriquer ma propre boîte. J’y déposerai ma mémoire. Si nous prenons en compte le fait que tous les tyrans cherchent à éliminer les livres, alors nous pouvons y voir une forme d’action politique pour contrer la pauvreté intellectuelle, le terreau de toutes les autres formes de pauvreté. Pourquoi ne pas considérer ces boites comme une action politique visant à contrer la pauvreté intellectuelle, terreau de toutes les autres formes de pauvreté ?
Jacques Quintin, philosophe