Hommage au couple Béchard-Deslandes
Quelle heureuse souvenance que celle de Monique Béchard et Roger Deslandes! Ces deux figures marquantes de ma jeunesse, par leur empathie, leur modestie et leur compétence, m’ont profondément marqué. À eux deux, ils ont dessiné mon parcours de vie. Laissez-moi vous raconter quelques évènements en lien avec ces personnes que je n’oublierai jamais.

▪ Source : Fonds d’archives des Éditions du Fleurdelysé (Sherbrooke).
Des évènements dramatiques
L’histoire se déroule dans les années soixante. J’étudie alors à l’École normale pour hommes de l’Université de Sherbrooke. Madame Monique Béchard m’enseigne la psychologie au brevet A, tandis que son mari, Roger Deslandes, m’enseigne le français.
Ainé d’une fratrie de douze enfants, je porte une lourde responsabilité familiale. Pendant mes études, certains de mes jeunes frères sont frappés par des maladies graves, dont le cancer et la polio. Deux d’entre eux doivent être hospitalisés à Montréal. La situation s’aggrave encore lorsque mon père est accablé par la maladie et qu’il perd son emploi. La famille sombre dans la précarité. Nous n’avons plus de ressources financières, et je dois subvenir aux besoins de tous avec ma maigre bourse d’études.
Dans ce contexte, l’angoisse ne me quitte pas. Je peine à suivre mes cours, d’autant que je dois régulièrement faire du pouce, souvent en plein hiver, pour visiter mes frères hospitalisés à Montréal et consulter des médecins. Ces trajets épuisants affectent ma santé, et je finis par tomber malade à mon tour.
Les épreuves s’accumulent : mon médecin de famille se donne la mort, et un incendie détruit le lieu où je devais suivre une thérapie de soutien. Écrasé par la détresse, je décide d’informer Mgr O’Bready, le principal de mon institution d’enseignement, de ma décision d’abandonner ma formation en troisième année. Mais, rongé par la honte et l’embarras, je n’ose pas lui révéler l’étendue de la misère et des drames qui accablent ma famille.
Une aide inestimable
C’est à ce moment-là qu’intervient madame Monique Béchard. Lorsque je parviens enfin à dénicher une voiture pour permettre à mes parents de se rendre à Montréal, aux hôpitaux Notre-Dame et Pasteur, nous faisons face à un autre obstacle : sans argent, ils ne peuvent pas se permettre de louer une chambre pour la nuit. Désespéré, je me tourne vers mon grand ami et professeur, M. Roger Deslandes. Je lui demande s’il serait possible que son épouse fasse appel à ses contacts parmi ses anciens camarades d’études universitaires pour nous permettre de dormir dans la chambre de mes petits frères gravement malades.
Madame Béchard accepte de faire la démarche. Et, miracle ! elle obtient l’accord de l’Hôpital Notre-Dame. Quel magnifique cadeau ! Quelle gratitude, en mon cœur, je leur rends !
Madame Monique et Monsieur Roger
Madame Monique Béchard, première docteure en psychologie au Québec, était une femme d’une très grande culture. Elle poursuivait des recherches bien au-delà de son doctorat, et c’est grâce à elle que j’ai pu bénéficier de soins thérapeutiques qui ont changé ma vie. Elle rappelait à tous les enseignants comme moi l’importance de suivre une psychothérapie pour mieux remplir leur rôle. Une vision avant-gardiste pour l’époque !
Quant à M. Roger Deslandes, il était un professeur de français hors du commun, un enseignant artiste absolument novateur et créatif. Il m’a complètement séduit par sa démarche pédagogique unique. Sa pédagogie m’a inspiré au point que, plutôt que de poursuivre une carrière en chimie, j’ai choisi de me lancer dans des études de lettres. Roger m’a donné l’exemple d’un parfait didacticien et d’un homme doté d’une culture sans commune mesure qu’il savait rendre accessible à nous tous, étudiants! Aujourd’hui, encore, après 60 ans d’enseignement, je pense à Mme Béchard et M. Deslandes, chaque jour.
Lorsque j’ai appris le décès de M. Roger Deslandes, je me suis empressé de me rendre à l’église Saint-Patrice de Magog pour rencontrer Madame Monique et ses filles. Lors des funérailles, j’ai tenu à livrer à l’assistance, de manière impromptue, un dernier témoignage de gratitude envers ce couple qui m’a accueilli et tendu la main lors d’évènements qui ont marqué ma vie. Aussi, je tenais à rappeler en nos mémoires une lecture inspirante de Roger, soit le conte Poom et les petits choux, qui a changé toute ma carrière professionnelle, ainsi que l’immense compassion de Madame Monique… Tous deux demeureront présents dans mon cœur, pour le reste de ma vie !