Sakhy Alemy Gulam

19 avril 2025 | Par Luc Breton | Camelots, Parcours migratoire, vol. 23, no 2

 

Sakhy est un fier camelot du Journal de rue depuis octobre 2020. ▪ Source : Jean-François Dupuis © 2020.

Au premier regard, on remarque tout de suite la gentillesse de cet homme venu d’ailleurs. Né en Afghanistan, il parle le dari (persan afghan), la langue de sa mère, la plus utilisée après le pachtoune. On y parle aussi l’ouzbek, le tukmène et le baloutche.

 

akhy se démarque très vite par son intelligence exceptionnelle et ses succès scolaires. Boursier, il s’exile à Moscou pendant un an. Les cinq années suivantes, il les passe à l’Université de Kyïv, où il étudie au département de sciences sociales, section pédagogie. Il enseigne la géographie et traduit du russe au dari des livres d’apprentissage. Encore aujourd’hui, Sakhy est tout fier de dire que son nom apparaît sur la quatrième de couverture de certains livres dont se servent les étudiants.

Son arrivée au Canada
Marié à Ludmyla en 1979 et papa, dix ans plus tard, d’une enfant mignonne et belle comme la lune, prénommée Maryam, l’homme est prêt à tout pour leur offrir confort et stabilité. Ce n’est pas tout à fait ce qui arrivera. Sa vie et celle de sa famille bascule quand la guerre éclate. Comment soustraire les siens au danger qui les menace ? S’en aller ailleurs, recommencer sa vie. À la recherche de paix et de sécurité pour sa petite famille, Sakhy fait une demande pour immigrer au Canada. Sakhy part seul pour Ottawa avec sa fille de 12 ans en 2001. Cinq ans plus tard, Ludmyla vient les rejoindre en Alberta après les funérailles de sa mère.

Leur vie va de rebondissement en rebondissement. Sakhy arrive à Sherbrooke en 2021 en laissant derrière lui des souvenirs de l’Afghanistan, Moscou, Kyïv, Ottawa et Montréal où il fait du travail saisonnier pendant près de huit ans. Il déménage quatre fois de quartier dans la métropole avec sa femme. Il avoue avoir traversé un épisode de détresse à cette époque.

Travaillant surtout en anglais à Montréal, il ne parle presque pas français à son arrivée à Sherbrooke. Afin de se familiariser avec la langue française, il achète le Journal de rue de l’Estrie pour essayer d’apprendre notre langue par lui-même. Bernard, le camelot de service, lui explique en quoi consiste le travail de camelot et le fonctionnement du Journal. C’est ainsi que commence une nouvelle aventure pour Sakhy qui se joint à l’équipe de camelots en octobre 2022 à l’âge de 71 ans. « Je communique en français, je m’améliore de jour en jour et, grâce au revenu que je gagne, je peux envoyer de l’argent à ma fille. »

Des inquiétudes
L’histoire de la fille de Sakhy, Maryam, prend une place importante dans notre échange et je comprends que l’éloignement des membres d’une famille d’immigrants est un enjeu créant beaucoup d’émotions et d’inquiétude.

Maryam est retournée en Ukraine après la fin tragique de son conjoint qui se noie près du Yukon. Elle emporte son chagrin avec elle en Ukraine où elle vit désormais sous les bombes. Sakhy est fier de sa fille aujourd’hui âgée de 36 ans. Il apprécie le fait qu’elle ait pu étudier au Québec en français et il est heureux de lui avoir donné la chance de s’instruire. « Elle réussissait très bien, ajoute-t-il. Elle parle six langues. » Mort d’inquiétude, il échange avec sa fille au moins une fois par semaine malgré les bris d’électricité, fréquents à Kyïv.

De la résilience
Sakhy n’a rien perdu de sa dignité malgré toutes les épreuves qui ont marqué sa vie et les grands sacrifices qui lui ont été imposés. La stabilité et le climat de paix au Canada semblent plus forts que la détresse et la situation de guerre qu’il a vécue.

Ce qu’il apprécie de Sherbrooke, une vie paisible, une ville plus petite où les gens sont moins individualistes que dans les grandes capitales. « Les gens sont aidants, tient-il à préciser. » Il se rappelle ses premiers temps où les gens essayaient de l’aider pour prendre l’autobus, cherchaient sur leur cellulaire des réponses à ses questions et tout cela dans un climat d’accueil.

On a peine à croire que cet homme a 74 ans. L’écouter se raconter est un baume sur le climat politique actuel sur la planète. La résilience à l’état pur.
Sakhy est « fier de sa vie ».

Plusieurs des passages de cet article sont tirés de « Sakhy, le magnifique-Sakhy Alemy Gulam », Pierrette Denault, Livraison directe : au cœur du journal de rue de l’Estrie.

Traduction libre de l’anglais du texte de Sakhy en dari :
« Je suis arrivé à Sherbrooke, c’est une ville tranquille. Les gens qui habitent à Sherbrooke sont très généreux et sont prêts à aider les nouveaux arrivants. »

 

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