Le temps
Méditative, j’observe l’oscillation du tic-tac de l’horloge et je donne raison à Boileau : dès que le temps paraît, il n’est déjà plus là. Seul le moment présent, fugace et insaisissable, existe. Si on ne le vit pas, si on le laisse passer, il n’existe plus. On ne recule jamais sur la ligne du temps, dès qu’on y est introduit, on est poussé vers l’avant, une seconde à la fois.
Le temps qui était...
qui est...
qui sera...
Le temps est une notion plutôt vague dont on prend la mesure seulement si on se donne la peine d’en apprécier la valeur, de comparer «l’avant et l’après». Le temps, ce traître, nous fait des promesses, il nous fait rêver d’avenir radieux, de contrées explorées, d’amours éternelles, mais esclave des exigences de la vie, il nous file entre les doigts, honteux de nous avoir déçus. Il s’en va, silencieux, à petits pas ou au galop, pressé de laisser la place à des heures plus douces.
Le temps qui fuit...
Le temps qui manque...
Le temps partagé...
La ligne du temps est variable pour chaque individu qui attribue au temps une mesure différente. Pour un enfant, qui entre dans l’existence terrestre, le temps qui vient de passer est très bref alors que le temps à venir lui semble infini. Plus la personne avance sur la ligne du temps, plus cet espace temps devient une course contre la montre. Au départ d’une glissade sur une pente, la descente se fait lentement, il faut parfois prendre son erre d’aller pour s’élancer, mais plus on arrive au bas de la côte, plus on accélère et plus le temps fuit à la vitesse du vent. Cette analogie suggère qu’en vieillissant le temps passe vite, trop vite. Et parfois le temps manque pour dire «je t’aime» pour pardonner, pour vivre ses rêves, pour vivre tout court.
Le temps partagé en famille, entre amis et dans les communautés qui nous entourent reste complet, s’étire et se multiplie comme des semences de bonheur.
Le temps que l’on donne...
Le temps qui s’attarde...
temps des souvenirs...
Le temps que l’on donne pour écouter celui qui cherche sa voie, pour bercer l’enfant qui pleure, pour tendre la main à qui cherche du réconfort, pour accompagner une personne jusqu’à l’autre rive, pour soulager une parcelle de la misère des humains, ce temps-là n’est pas perdu, il est distribué comme on offre une fleur cueillie avec amour et désintérêt.
Mais il arrive aussi que le temps s’éternise, angoissant et imprévisible comme dans les moments de lourds silences, de grands malaises ou devant l’impuissance à soulager la souffrance et l’injustice de nos frères humains.
Le temps passé se charge parfois de secrets lourds à porter, d’expériences douloureuses qui ont marqué nos vies de stigmates indélébiles, mais en d’autres moments, ce passé nous livre un coffre de trésors ressortis de notre enfance, des amitiés et des amours intacts qui ont surmonté le fil du temps sans flétrissure et sans affronts.
Le temps à venir...
Le temps perdu ...
Le temps à choisir…
Très souvent, le temps à venir nous semble malléable, on souhaite le gérer à notre guise selon nos volontés, nos choix et notre condition de vie. Ce temps anticipé, c’est «l’à venir», pas encore offert, mais espéré. On l’imagine meilleur, même dans les moments de désarroi, on sonde nos forces pour donner un élan à ce temps à façonner. On souhaite en devenir l’architecte et le construire sur une base solide, prometteuse. On croit à cette deuxième chance que le temps «à venir» nous promet.
Quand on file sur la ligne du temps de notre destinée, il arrive qu’on éprouve du chagrin d’avoir manqué de temps, d’avoir mal utilisé le temps donné, d’avoir perdu trop de temps.
«… tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus,» chantait Barbara.
Ces remords sont bien inutiles, et il est plus sage de vivre pleinement le temps qui nous reste plutôt que de gémir sur celui qu’on regrette. Restons maîtres de notre temps ne laissant à personne le pouvoir d’en faire usage à notre place. Ce serait leur faire trop d’honneur!
«Le temps est ma seule avarice, j’en fais usage avec parcimonie, j’en use sans en abuser», disait un vieux sage.
Prenons le temps de vivre pleinement la beauté de nos étés!