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Interculturalisme

Éloge d’une mère, d’un continent à l’autre

1 février 2019 | Par Loïc Brurat | Interculturalisme

En un pays de folklores lointains, où règne la vie hivernale, le destin d’une grande femme repose sur les épaules d’une vieille base militaire. Son nom? Sylviane.

7-8 février 1992, Lahr (Allemagne)

Est proclamée Mlle Brurat Duchesse de la Compagnie du Commandement et Services à l’occasion du Carnaval du premier Bataillon du Royal 22e Régiment. En effet, ni la neige, ni Bonhomme Carnaval ne sont l’exclusivité et la pro-priété de quiconque (il n’existe pas juste Québec pour fêter les joies de l’hiver, mais whatever). Quel honneur pour nous, Québécois, que cela ait été pour elle le «cours 101 Canada»! Une authentique Québécoise en cœur et en pen-sée, malgré la distance géographique qui la sépare à ce moment-là de nous autres. Tout comme Xena, la princesse guerrière, Sylviane voyage là où l’aventure l’appelle. Le sur-place, ce n’est pas pour elle.

Décembre 2017

Immigrante reçue au Canada en 1997, Sylviane Brurat partage son expérience avec nous. Comme toute personne, elle est empreinte de sagesse. Ce qui a été difficile pour Mme Brurat, en immigrant ici, c’est la différence de langage: «C’est la même langue, mais avec une culture différente», me confie-t-elle. Malgré tout, Maman s’adapte rapidement, «c’est-à-dire que j’ai mis de côté mon côté français et j’ai adhéré à la culture locale, québécoise». Elle ne vit plus à ce jour un dépaysement, mais il serait faux de prétendre que la distance avec la famille se vit facilement. Ayant vécu au-tant de temps en France qu’au Canada, elle a parfois l’impression d’être coupée en deux. C’est peut-être dans ce sens-là que je l’ai entendue se définir comme une apatride, à la maison, en de rares occasions. «Peu importe où tu vas, tu vis comme les gens de la place. Tu n’essayes pas d’imposer tes couleurs. Tu n’essayes pas de te créer ton petit pays chez l’hôte parce que tu ne t’adapteras jamais. Tu t’adaptes. Tu laisses de côté ce que tu as vécu dans ton pays parce que tes racines sont en toi. Ça, personne ne pourra l’effacer». Cela s’applique à tous et à tout niveau. Que tu sois un Québécois ou d’ailleurs et que tu changes ne serait-ce que de territoire, tu t’adaptes aux communautés en-vironnantes et à leur mentalité. Point à la ligne. Reste chez toi si tu n’es pas sortable: nous t’accueillerons comme d’habitude. Avec nos us et coutumes, et sur un air de famille. Nous ne pouvons ni en vouloir, ni juger le peuple qui nous reçoit. Surtout lorsque nous ne nous sommes point impliqués dans la société d’hôte. Ce point est à noter lorsqu’on est dans un pays étranger, même si c’est une terre d’accueil, à priori.

Mlle Sylviane Brurat, duchesse lors d'un Carnaval canadien en Allemagne.

Accueillir l’autre

Je vous partage présentement un peu de moi, de nous, ici. Un tant soit peu de vécu, à proprement dit. Sous réserves, cela se fera à travers l’allégorie de Brisby et le secret de NIMH (un film début ‘80 réalisé par Don Bluth). Brisby est une souris des champs avec des problèmes de logement (une machinerie lourde menace sa propriété). Mère de 4 enfants, avec un père absent, elle a eu à être débrouillarde pour la survie de son foyer. L’amour maternel qu’elle porte est le seul rempart contre l’univers sombre du film et ceux et celles qu’elle aime. En effet, on réalise vite qu’il n’y a pas seu-lement les rats qui posent problème en ville: encore faut-il parvenir à s’y rendre! Cette souris a subi la violence des hommes, sans que cela ne freine sa détermination et la création d’un monde moins sombre pour ses enfants et ceux de la ville de NIMH… Ne m’en voulez pas de placer des blocs de mystères dans cet article. On a beau m’avoir attribué le titre du petit chaton à sa maman pendant des années, mais même moi je ne peux prétendre connaître ma mère en tant que personne… Vous savez, la connaître pour autre que juste «Maman»? Certaines personnes perdent leur temps à connaître l’Inconnu que porte l’autre, alors que d’autres prennent le temps de connaître certaines personnes qui portent l’Inconnu. Rassurez-moi, les lecteurs: vous n’êtes pas en train de lire cet article pour savoir quelle couleur de bobettes porte ma mère. Non, vous ne lisez pas ce court récit de vie pour satisfaire une curiosité malsaine. Non, vous ne cherchez pas une sorte d’auto-validation de votre être en devenir (immigrant à l’origine ou non) à travers ces écrits. Vous lisez cet article pour des raisons qui vous sont propres, en toute réserve. Partager une expérience d’une vie demande un courage tout aussi exigeant que celle-ci. Nous n’avons pas à connaître forcément l’autre pour recon-naître ce que nous avons en soi. Quitte à accueillir l’autre, à la fin, en fin de compte… juste comme il est, en fonction de ce qu’il fait en société.

Quand on partage un vécu d’immigrant (mais pas uniquement), le passé devient tout aussi important que le présent et l’avenir. Plus récemment, grâce à sa passion pour les bandes dessinées depuis qu’elle est toute petite, on retrouve Sylviane interviewée par le réalisateur Guilhem Rondot dans le documentaire intitulé À la recherche de Dan Coo-per de PIX3 Films (2012). La voie des airs se retrouve encore ici (Lahr est une base aérienne)! Depuis trois ans, Ma-man participe activement à Hockey Outaouais. Elle a beau avoir été française à un moment donné, nul ne peut dire qu’elle n’est pas québécoise aujourd’hui. Du moins, cela aiderait sincèrement à ce qu’on ne nous voie plus comme des étrangers chez nous. Je pense. Depuis le temps. Enfin, bref. Crise du particulier. C’est si peu dire...

Veuillez me pardonner de ne pas pouvoir vous faire vivre son histoire pleinement par écrit. Une image vaut mille mots, et je juge que les absents ont toujours tort. En ce sens, je suis borderline dans le tort. Prendre le risque d’altérer, de banaliser, de survaloriser ou de distordre (pour ne pas dire dissoudre) le souvenir agréable appartenant à autrui est un acte auquel je ne me soumettrai pas aujourd’hui. Mais, vous savez, ma maman, elle existe. Elle est plus à l’aise à par-ler que je le suis en pensée. Un sourire, un «bonjour», «hello», «holà»… bref, reconnaître la présence de l’autre de-vant soi est le plus beau cadeau que tu peux offrir à un humain. Pouvons-nous réapprendre à vivre ensemble? Dans un vivre-ensemble? En commençant par ça? Je ferai de même, en me promenant ici et là. Je suis là. Tout comme toi.

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