Ce que je suis, je le dois à l’écriture
Pourquoi écrire lorsqu’on est philosophe? Parler, n’est-ce pas suffisant? Je ne le crois pas, car l’écriture apporte une expérience qu’aucune autre ne peut remplacer.
J’écris pour lire en moi-même. Écrire devient un geste d’éclaircissement de ma propre présence au monde. C’est à travers les mots, principalement les concepts, que ma conscience devient réelle, soit une expérience vivante. Il ne s’agit pas de nommer ce qui se tient autour de moi, mais ce qui se présente à l’intérieur de mon esprit. C’est ainsi que les choses se relient entre elles, qu’elles prennent forme et sens, et qu’elles donnent à penser.
Écrire devient une façon de déposer notre condition humaine constituée de questionnements. Écrire fait en sorte que tout ce qui vit gagne en intensité. C’est ainsi que je découvre le monde, qu’il y a des choses qui n’existaient pas avant d’écrire. C’est donner vie à la part la plus intime de notre être. Cet art de création est toujours un mystère qui me remplit d’étonnement.
Nous pourrions facilement croire qu’un jour je n’aurai plus rien à dire. Penser ainsi, c’est méconnaître l’essence de notre être. Il n’y a donc plus de raison de cesser d’écrire, la conscience est infinie. Il y aura toujours des recoins qui voudront se manifester. Il convient dès lors de tenir le phare pour en être le témoin.
En dernier ressort, ce n’est jamais moi qui écris : c’est un souffle, une présence, une muse qui me jettent dans l’extase, hors de moi, à l’écoute de tout ce qui se passe à l’intérieur de ma conscience. Ce qui se joue, c’est un rapport à soi. Écrire devient, pour ma conscience, une manière d’établir un dialogue avec elle-même. J’existe parce que je me parle. Je suis, car des mots me portent ailleurs que dans l’immédiateté et plus loin dans la lumière.
En écrivant, je deviens ce que je suis : une conscience qui se découvre soi-même comme acte d’écriture dans le geste d’écrire.
Mon seul mérite, c’est de me rendre disponible, libre de toutes entraves pour qu’advienne ma propre vérité et la beauté du monde. Car c’est en écrivant que je retrouve ma raison, que ma vie prend sens. Sinon, je ne sais plus qui je suis. Par conséquent, il ne peut en être autrement.
Il existe une pléthore de philosophes qui ont écrit pour eux-mêmes sans se soucier d’être reconnus comme philosophes. Je pense à Descartes, Spinoza, Pascal. Ce constat renvoie à l’idée que l’écriture philosophique se déploie dans la solitude. C’est pour lui-même qu’un philosophe écrit. Une chose demeure, nous n’écrivons pas pour apporter des réponses, mais pour nourrir la réflexion en posant des questions.
Toutefois, nous ne pouvons pas penser l’écriture sans l’acte de lecture. Si j’écris, c’est que je suis un lecteur avant toute chose.
Toute cette réflexion est bien subjective. J’espère néanmoins que mes mots sauront vous faire signe comme des oracles à interpréter.