La culture du viol en crise

1 août 2020 | Par Jacques Quintin | Philosophie, vol. 18, no 5

Nous assistons depuis quelques années à de nombreux cas de dénonciations concernant les agressions sexuelles. Au départ, ces dénonciations se produisaient à l’intérieur du cadre judiciaire. Nous avons pu en constater les limites. Maintenant, les gens vont beaucoup plus loin : ils visent la culture du viol qui est bien implantée dans nos mœurs en dépit des dégâts qu’elle cause. Dans ce cas, cela nous concerne tous, car notre silence contribue au maintien de cette culture.

Avec ces agressions, incluant la blague à caractère sexuel, le corps que nous sommes se transforme en objet que nous pouvons scruter. Ce n’est plus mon corps, mais un corps pour d’autres personnes. Le philosophe Jean-Paul Sartre dit que lorsque la personne perçoit son corps selon la perspective d’autrui, c’est tout son être qui est vécu comme quelque chose en dehors de soi. Ce faisant, son identité est réduite à son apparence externe. Elle se voit et se pense à travers le regard d’autrui. La personne est aux prises avec des ressentis auxquels elle n’a jamais consenti. Ceux-ci s’imposent et se présentent comme des corps étrangers qui ne s’intègrent pas dans sa subjectivité. Ils sont quelque chose qui lui tombe dessus écrasant son être jusqu’à en faire une bouillie.

Toutes ces dénonciations nous font réfléchir à ce qui mérite ou pas d’exister. S’il y a une question, c’est bien celle-ci : qu’est-ce que je fais exister chez autrui? Le sentiment d’être encore plus vivant ou d’être sur la pente de la mort psychique? Nous ne pouvons rien y comprendre si nous n’écoutons pas ce que disent les femmes de l’existence, car notre évolution spirituelle, nous la devons aux femmes. Ce sont elles qui nous guident vers une nouvelle humanité. Toutefois, ce processus civilisationnel ne passe plus par le droit, mais par l’éthique qui consiste à mettre de la délicatesse et de la douceur dans nos vies.

Nous assistons à la formation d’une autre justice qui ne serait plus fondée sur la loi et la culpabilité, mais sur la honte et les excuses. Mais les excuses, c’est encore un cadeau que nous faisons aux Narcisse pour qui la réalité se limite à ce qu’ils ressentent et ce qu’ils pensent en excluant les autres. Ils seront tout contents de parler encore une fois d’eux, comme si les souffrances engendrées étaient quelque chose d’irréel. Les excuses sont-elles valables si elles ne sont pas accompagnées d’un repentir qui consiste à prendre sur soi les souffrances que nous avons fait subir?

Certes, il convient de se défaire de la culture du viol. Plus qu'un problème social et psychologique, c’est surtout une crise qui jette un éclairage sur la condition humaine dans ce qu’elle a de plus dégradant. Le drame qui se joue est celui de l’authenticité des relations humaines. Mais est-ce que cela signifie que nous devons réaliser une rationalisation des relations humaines? J’espère que non, car ce serait encore une fois tuer la vie: vivre n’est pas une affaire de technique, mais un art qui se développe avec l’écoute.

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