La croissance « durable » des inégalités
L’Institut de recherche et d'informations socioéconomiques s’est inspiré des travaux de l’économiste Thomas Piketty pour mettre en évidence qu'à partir des années 80, non seulement les plus riches ont vu leur revenu exploser, mais qu’on leur demande de payer de moins en moins d’impôt, ce qui contribue à l’accumulation du patrimoine entre les mains du 10% le plus riche de la population.
Afin de mieux comprendre la valeur réelle des comparaisons qui sont expliquées ici, on a évalué la valeur de l’argent sur une base de conversion en « dollar 2015 ». Par exemple, en 1960, le revenu personnel moyen était de 1 672 $ par année ; le lait coûtait 24 cents la pinte et une douzaine d'œufs, 55 cents. Pour savoir ce que ces montants valent aujourd’hui, ils ont été convertis selon la valeur de l’argent en 2015. On obtient ainsi un portrait plus clair de l’évolution de la situation.
Le plus riches, de plus en plus riches

Durant les années 60, les 50% les plus pauvres voient leur revenu annuel augmenter légèrement puis se stabiliser autour de 15 000$ en 1970. Pendant ce temps, l’augmentation du revenu annuel du 1% le plus riche se stabilise pour sa part autour de 450 000$ par année. Entre 1960 et 1980, l’écart entre la rémunération des deux groupes est relativement stable, les plus riches gagnent environ 30 fois la rémunération annuelle des plus pauvres.
Au début des années 80, le portrait change radicalement. Le revenu du centile supérieur se met à augmenter en flèche et, rendu à l’an 2000, il dépasse en moyenne les 1 200 000$. Pendant ce temps, le revenu des 50% les plus pauvres stagne à 15 000$. Désormais, les plus riches gagnent près de 80 fois ce que gagnent les 50% les plus pauvres.
Ces tendances sont similaires un peu partout dans le monde occidental, même si elles sont beaucoup plus marquées aux États-Unis. Au Québec, ces inégalités sont nettement moins élevées une fois pris en compte les impôts, les crédits, les allocations et les transferts gouvernementaux. C’est dire comment la redistribution à travers l’impôt apparaît avoir un impact considérable sur la réduction des inégalités. Malgré tout au Québec, pendant que le revenu annuel de 99% de la population augmentait de 57% entre 1982 et 2017, celui du 1% (les plus riches) augmentait 2,5 fois plus rapidement.
Simon Tremblay-Pepin, professeur à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, estime que les programmes de lutte à la pauvreté des dernières décennies se sont surtout concentrés sur les personnes de plus de 65 ans et les familles avec enfants, oubliant les familles monoparentales et les personnes seules de moins de 65 ans. Aujourd'hui, les gens de ces deux catégories sont proportionnellement plus nombreux à percevoir des revenus annuels sous le seuil de la Mesure du panier de consommation de Statistique Canada, une mesure de faible revenu basée sur le coût d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base.
Bruno Marchand, président-directeur général de Centraide Québec et Chaudière-Appalaches précise que si on ne réduit pas les inégalités, la situation va empirer et les effets collectifs vont être encore plus graves. Il ajoute que de partir avec deux prises contre soi dans la vie équivaut souvent à essayer de monter un escalier roulant en sens inverse. De nombreux laissés-pour-compte, nés dans un milieu pauvre, peuvent trimer dur pour s’en sortir, sans pour autant que leurs efforts portent fruit.
Il ajoute que l'idée répandue de la méritocratie continuera de favoriser les personnes au sommet de la pyramide des revenus aux dépens de l’intérêt collectif.