Science et sens de la vie : qui décide?
On ne cesse de répéter que nous devons écouter la science pour affronter les multiples crises qui nous assaillent de toute part, dont les plus récentes, celles liée à l’environnement et à la pandémie.
Depuis le début de la pandémie, on nous informe sur le virus, sa propagation et les moyens de protection à notre disposition. Il est très judicieux de s’appuyer sur ces connaissances, même si elles sont évolutives et empreintes d’incertitude. On peut toujours s’entendre sur ce que dit la science, même si les vérités scientifiques sont de nature provisoire.
Mais croire que ce sont ces connaissances qui doivent décider pour nous de notre destinée, il y a un pas qu’il ne convient pas de franchir. Si les connaissances nous disent comment les choses se produisent, la pensée spéculative cherche davantage à dégager l’horizon de notre destin.
Cela signifie que le genre de vie que nous souhaitons mener comme être humain ne relève pas strictement de la science. Car le sens que nous voudrions donner à notre vie n’est pas une donnée factuelle, mais un objet de spéculation en raison justement de son caractère subjectif et approximatif, échappant du même coup à notre contrôle. Lorsque vient le temps de dire ce qui est bien ou juste, il existe beaucoup de désaccords.
Il devient important de discerner clairement ce qui appartient au domaine scientifique et au domaine politique et moral où l’un repose sur la connaissance des faits et l’autre sur l’exercice de la pensée spéculative sur le sens. Certes, une pensée sans ancrage dans le réel risque de divaguer, mais une pensée qui s’en tient trop près ne prend jamais son essor. David Hume, philosophe écossais du XVIIIe, dit que nous ne pouvons pas déterminer ce qui devrait être à partir de ce qui existe, mais selon ce qu’on imagine être le mieux pour l’être humain pour lequel les émotions comptent pour beaucoup. Il y a donc un saut entre les connaissances factuelles que nous procurent la science et la spéculation philosophique sur le sens de notre vie. Par exemple, la science peut nous indiquer comment maintenir une bonne santé, mais le sens de la santé est l’objet d’un dialogue infini. Il en va aussi ainsi avec le sens de nos sacrifices, de notre solitude et de notre solidarité. Ce sont des questions philosophiques qui n’aboutissent jamais et qu’on doit reprendre sans cesse. Le réel ne nous suffit pas, il convient d’y ajouter une bonne dose de sens à l’aide de notre imagination.
Notre destin, comme le sens de notre existence et tout ce qui n’est pas observable et mesurable de manière objective, est une affaire qui appartient à l’exercice de la pensée et non pas à la science. Pour décider de notre sort, la science qui ne s’intéresse pas aux questions de sens, mais à la mécanique des choses extérieures, ne nous dit rien. Lorsqu’il en va de notre existence, il convient de consulter notre conscience. Rabelais l’avait pressenti : science sans conscience n’est que ruine de l’âme. L’une ne va pas sans l’autre. Un autre penseur, Max Weber, l’a souligné en rappelant que nos croyances trouvaient leur limite à l’aune des conséquences. Agir sans prendre en compte l’effet de nos gestes est une marque d’irresponsabilité, surtout lorsque ces actions font subir à autrui l’insupportable, la possibilité de mourir.