Apologie de l’impur pour en finir avec la culture de l’annulation

1 juin 2021 | Par Jacques Quintin | Culture, Philosophie, vol. 19, no 3

Nous assistons depuis quelques années à un phénomène inquiétant de purification : celui de la culture de l’annulation et de la dénonciation (cancel culture). Il serait indécent de fréquenter des œuvres qui utilisent des formes expressives qui renvoient au Mal. Dans ce contexte, il conviendrait de mettre à l’index une grande quantité d’œuvres et de monuments. Il faudrait même réécrire l’histoire en effaçant tout ce qui dérange. D’aucuns y voient une forme de censure. On pourrait aussi penser que c’est une nouvelle forme de répression au nom de la morale. 

 Je vois dans ce phénomène une grande pauvreté dans la manière de lire notre monde. On prend les choses au pied de la lettre sans chercher à comprendre. Les mots, les œuvres, les monuments sont des faits qui ne demandent aucune interprétation. Par exemple, une scène de viol dans une œuvre littéraire n’a pas besoin d’être lue selon son contexte. Il faudrait aussi bannir Aristote pour ses prises de position sur l’esclavage et les femmes. Ne plus lire Céline en raison de ses opinions antisémitiques. Ni le philosophe Heidegger. Ni Levinas qui ne reconnaissait pas de visage aux Palestiniens ni Arendt qui détestait les juifs arabes. Il est étonnant que ce phénomène se produise généralement dans le monde de l’éducation!  

Peut-on imaginer vivre dans un monde dont on aurait expurgé toutes les œuvres qui choquent les mœurs? Si nous faisons l’exercice sans indulgence, honnêtement, il ne restera plus rien, sinon des œuvres qu’on ne lit pas parce que, justement, insignifiantes. Il faudrait bannir à peu près toute la culture occidentale. L’ancien bloc de l’Est s’évertuait à dénigrer l’art qu’on qualifiait de bourgeois et de capitaliste. Qu’en reste-t-il aujourd’hui?  

 Ce phénomène de la culture de l’annulation est symptomatique d’une psyché humaine qui rejette hors de soi ce qu’elle ne peut pas intégrer. Toutes les différences sont vécues comme une incursion mortelle. Toutes les altérités compromettent la survie de nos identités. Il y a péril dans la demeure. On se plaint pour protéger son identité. On ne comprend pas que la vie psychique doit intégrer en elle des malaises pour survivre comme un corps qui crée des anticorps face à des virus. Alors, on se renferme dans des bulles protectrices. On assiste à de l’autoconfinement. C’est du délire. On pourrait y voir une psychose collective.  

 Ce lien entre la culture de l’annulation et la psychose n’est pas fortuit. Dans chaque cas, ce qui frappe, c’est le manque de doute et le sentiment d’être investi d’une mission pour sauver le monde. Pour accuser si facilement, « pour haïr, il faut avoir des certitudes absolues ». Alors, les autres ne peuvent qu’avoir tort. Plus encore, ils ne méritent pas la vie.  

 C’est curieux que ce soit dans la vingtaine que beaucoup de gens se fanatisent, qu’ils deviennent des adeptes de différents mouvements de radicalisation où le dialogue est impossible. Bien difficile d’en tirer des conclusions. Cependant, une chose demeure : la mise à l’index a toujours mal fait paraître les défenseurs de la vertu. 

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