Quand la peur prend les commandes

1 juin 2021 | Par Monique Turcotte | Communautaire, vol. 19, no 3

Il fut un temps, pas si lointain, où les enfants se permettaient de s’amuser librement, de prendre le risque de s’écorcher les genoux, de se couper le bout d’un doigt en gossant un morceau de bois, de se tirailler avec ses leurs frères ou sesleurs amis sans alarmer les parents. Ces derniers, trousse de premiers soins à portée de main, savaient panser et rassurer l’enfant tout lui apprenant à identifier et braver les menaces.  

 Léon, un jeune cinquantenaire rencontré récemment, me rappelait qu’au temps de son enfance les enfants avaient le droit d’être des enfants. Cet homme démontrait une assurance tranquille « parce que ses parents avaient toujours favorisé la débrouillardise de leurs enfants faisant confiance en à leurs capacités parentales », nous disait-il, admiratif. 

fille qui joue dans les bois
Est-il toujours inéluctable de craindre pour nos enfants ? Est-il sain de laisser la peur nous envahir lorsqu'aucun danger réel n'est imminent ?

Ces derniers, aimants et responsables, s’étaient donné comme mission de préparer leurs cinq enfants à faire face à la vie. Ils se gardaient bien de les effrayer en leur présentant le monde qui les entourait comme une jungle hostile. La vérité, sans dérobade, primait dans les mises en garde. La mère surveillait les jeux plus robustes, pansait les écorchures, « becquait bobo » sans exagérer la douleur ressentie. Pour les parents, il était essentiel d’apprendre à leurs enfants à affronter les obstacles afin qu’ils mettent dans leurs bagages les outils nécessaires pour dompter leurs angoisses. 

 C’est ainsi que son Léon, le plus hardi de ses enfants, s’est joint à la troupe des scouts de sa paroisse où il a passé son enfance et son adolescence à « vivre plein d’aventures, qui précise-t-il, ne seraient plus permises aujourd’hui ». C’est ainsi, bien armé pour se prémunir contre les aléas de la vie, qu’il a appris à dominer ses peurs paralysantes, à écouter le hurlement des coyotes qui rôdaient autour de leur campement, à escalader les arbres et les rochers, à respecter les craintes de ses coéquipiers, à endurer la souffrance et à aimer sa vie pleine de défis.  

 Devenu un adulte, la tête remplie de projets, il s’est adonné au parachutisme après avoir exploré les coraux australiens en plongée sous-marine. N’eût été la grande liberté qui a nourri son enfance, il n’aurait jamais eu l’audace d’affronter tous les dangers qu’il a bravés.   

 Ses récits d’aventures, livrés lors de nos rencontres, m’ont ouvert les yeux sur un aspect de notre comportement parental.  Ces conversations m’ont amenée à réfléchir sur le concept de la peur, celle qui paralyse et finit par prendre les commandes de nos existences. J’observe et me désole parfois devant les interdictions, les contrôles qu’imposent à leurs enfants les parents bien intentionnés. 

Est-il toujours inéluctable de craindre? Est-il sain de laisser la peur nous envahir lorsqu’aucun danger réel n’est imminent? Ne laisse-t-on pas trop souvent la crainte irraisonnée, voire superstitieuse, hanter nos pensées, guider nos choix? En faisant de la peur une alliée, nous lui offrons les commandes des sentiments qui orientent nos actions. 

 La peur est une réaction normale qui se manifeste lorsqu’une situation nous échappe, lorsque nous n’avons, ou pensons n’avoir plus aucun contrôle. Mais est-il possible, souhaitable même de tout maîtriser ? N’est-il pas plus formateur de permettre à nos enfants de tester eux-mêmes leurs limites ? Une mauvaise expérience, un échec, une blessure les rendront plus forts, moins vulnérables aux dangers réels qu’ils trouveront un jour sur la route de leur vie. 

 Très jeune, un enfant ressent les peurs de ses parents, l’inverse est aussi vrai : un enfant perçoit et éprouve les sentiments exprimés par son entourage. Le magnifique film « La vie est belle » (Roberto Benigni) illustre avec éloquence cette observation : l’enfant reproduit ce qu’il voit et entend. S’il détecte la peur dans le regard, les paroles, les gestes de ses parents, il éprouvera le même sentiment, mais si, au contraire, il y dénote une certaine sérénité, tout comme Giusué, le fils de Guido et Dora, dans le film précité, il ne verra que le bon côté de la vie. 

 Les dangers qui nous guettent sont multiples et viennent de différentes sources, d’où l’importance d’informer nos enfants des façons d’identifier l’origine et la portée des divers risques encourus, sans en exagérer l’importance.  

 Bien sûr, il faut rester vigilants si on reçoit des menaces, car la peur raisonnée peut nous sauver la vie. Mais elle peut aussi nous la gâcher si on la laisse nous envahir.  

L’opposé de la peur, cette voleuse de liberté, est la confiance envers nos enfants et envers notre entourage. En comparant les sociétés à travers les siècles, nous devons admettre qu’il y a beaucoup moins de violence au XXIe siècle qu’aux siècles précédents. Il suffit de jeter un regard sur l’Histoire du monde pour réaliser les progrès de la civilisation dans le domaine de la sécurité. Comprenez-moi bien, je n’affirme pas que nous vivons dans un monde sans violence, mais je soutiens que le monde contemporain s’est donné les outils pour diminuer les comportements violents par l’éducation et les nombreux organismes qui œuvrent de par le monde. 

Afin d’accompagner les pas de nos enfants et de les guider en leur évitant de s’échouer sur les écueils semés sur leur route, il serait pertinent d’appliquer certains principes éducatifs qui mènent à l’autonomie.  

Est-il utile de surveiller les déplacements des enfants par un système relié à leur téléphone cellulaire? Ne serait-il pas plus logique de les informer des risques inhérents à certaines activités hasardeuses, de leur fournir les outils dont ils auront besoin pour gérer les périls ? 

En voulant bien faire, il est possible d’encourager un réflexe de crainte chez un enfant qui l’amène à développer de l’anxiété au moindre événement inhabituel. Et qu’ainsi ses peurs deviennent une façon d’attirer toute l’attention. 

En surprotégeant un enfant, on lui fait comprendre que le danger le menace partout et qu’il ne peut se défendre sans notre intervention. Mieux vaut donc lui offrir des solutions et surtout lui faire confiance. Vous craignez qu’il tombe, pleure, se décourage ? Rassurez-vous, il se relèvera et séchera ses larmes si vous lui apprenez à le faire. 

L’été est là, laissons les enfants braver l’interdit et apprendre la vie. 

Faisons-leur confiance ! 

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