Catégories :
Culture
vol. 19, no 4

Métaphore entre deux eaux

1 août 2021 | Par Sandra Tremblay | Culture, vol. 19, no 4

L’été est propice aux moments passés en nature près de l’eau vive. Pour ma part, j’adore être près d’une rivière le matin ou en soirée. La lumière y est douce et dorée. Je suis alors témoin de l’intimité des herbes, des oiseaux, des insectes. Je vois le cormoran sécher ses ailes pendant que j’entends le gazouillis des hirondelles tournoyant en quête d’insectes. Du coin de l’œil je perçois les ondes se dessiner sur l’eau quand une truite gobe une mouche à la surface.  

J’imagine la voix d’Ella Fitzgerald qui chante SummertimeC’est fascinant, mais j’aimerais aussi voir ce qui est sous l’eau. Tant que je n’y plonge pas ma tête, je ne peux qu’imaginer ce qui s’y passe. 

L’émerveillement est une loupe qui accentue les choses anodines. Près de l’eau, on choisit ce qu’on regarde, mais pas ce qu’on capte; on regarde le fond de galets immobiles, puis c’est un éclat lumineux qui nous happe. On suit des yeux l’insecte aux longues pattes glisser sur la surface, puis une bernache inattendue passe tout près au-dessus de nous, ses ailes émettant un bruissement sonore. Notre attention divague, une partie de soi se diffuse dans les flots et le reflet de nos pensées s’y disloque.  

À cette réflexion, le mythe de Narcisse me revient en mémoire. Ce jeune homme assoiffé assis au bord de l’eau ne peut s’empêcher de regarder le reflet de son visage et d’en être ému. Il s’y voit, tant qu’il est immobile et que la surface de l’eau reste miroitante. Hypnotisé, il n’ose pas bouger, confortable dans l’admiration. J’imagine Narcisse sortir de son hébétement et entrer dans l’eau pour s’y baigner. Le mouvement de son corps immergé fragmente alors son image qui se disperse au gré des vaguelettes. Je l’imagine souriant acceptant de s’offrir aux mouvements porteurs des flots en interrompant l’attraction de son reflet. Je le vois prendre part à son environnement plutôt que de s’en servir comme un miroir.  

Et puis je réalise que la plupart d’entre nous sommes Narcisse à nos heures. On regarde notre propre image plutôt que de sauter à l’eau, que de se mêler au tout. Même si l’eau est froide ou trouble, l’expérience peut tout de même être enivrante puisque c’est en bougeant qu’on nage, qu’on sent la densité de l’eau. De plus, dans la nage, une partie de soi accède à l’ombre, à ce qui est présent sous la surface de l’eau, cet espace mystérieux. Si vous savez nager, c’est un rendez-vous joyeux avec les poissons. Il y a peut-être là aussi des rayons de soleil enveloppants.  

Alors, de quoi avez-vous envie aujourd’hui, admirer votre image ou vous immerger dans l’action? 

lac
Près de l’eau…
Partagez
[TheChamp-Sharing]