L’escalier de l’aube
Parlant de villes, il faut voir les esprits griffer les troncs d’arbres, battre les barrages, s’échapper de l’écume et monter comme une prière, et moi qui me tiens en haut, qui résiste à la gravité, accrochée à l’ange suspendu au balcon de la King, je contemple le rez-de-chaussée, ça dévale, ça cascade, ça tombe, ça se casse dans une trouée d’acier, mais ce n’est pas un centre-ville, c’est un carrefour d’eau avec, çà et là, des rues qui ont la nonchalance des nuages, un chemin de fer qui disparaît dans les graminées, et de grands dessins où on a colorié sans dépasser les lignes, et j’ai beau m’enfuir, m’arracher du sol, me hisser encore une fois là où les pigeons cèdent la place aux mésanges, j’ai beau lutter, je déboule à chaque fois jusqu’aux Grandes Fourches, et la Magog s’esclaffe, comme une femme qui a trop bu et qui se cogne aux tables. Le soir, il y a des troupeaux de voitures pressées de rentrer on ne sait où. J’ai demandé à des sentiers qui m’ont renvoyée aux trottoirs, et les trottoirs m’ont ramenée en haut. Et je rêve, je rêve de rivières qui rêvent de soleil qui rêve de langueur qui rêve d’un remous pour arrêter le temps. But time is money. Voilà ce que mes mollets entendent jour après jour.