Le temps des gestes lents
Il n’est pas donné à tous d’atteindre le crépuscule d’une longue vie. Et y parvenir ne se fait pas sans heurts. L’auteur Franz-Olivier Giesbert jette un regard lucide sur la condition des personnes vieillissantes en écrivant dans le roman Le schmock : « Si on n’avait pas le malheur de vieillir, vivre longtemps serait un grand bonheur. »
Quand on gravit le grand escalier d’une longue vie, la réflexion que l’on porte sur l’existence change de perspective. Jeune, on voit une longue vie à construire, tous les rêves sont permis tandis que lorsque les années de vie active sont passées, gérer celles qui nous restent devient déstabilisant et donne parfois le vertige. Vient alors le temps des gestes lents et, sagesse aidant, « Nous savons mieux qu’auparavant ce qu’il est précieux de sauvegarder, permis d’espérer et déraisonnable de convoiter » écrit Pascal Bruckner dans son récent essai « Une brève éternité ».
Ce qu’il est précieux de sauvegarder
Les liens familiaux, les amitiés tissées au fil des ans, les valeurs reçues, les souvenirs et les secrets qui ont traversé nos jours. Ces trésors qui ont enrichi notre existence méritent d’être préservés et transmis aux générations qui perpétueront notre héritage culturel. Il faut nous y consacrer tant qu’un souffle de vie nous animera.
Ce qu’il est permis d’espérer
L’espoir de voir naître l’aube de matins nouveaux, d’admirer d’autres crépuscules, des paysages immaculés, de lire, d’écouter toutes les musiques du monde, de recevoir à sa table, d’échanger des conversations et, le moment venu, de traverser sur l’autre rive dans la sérénité d’une vie bien remplie.
Ce qu’il est déraisonnable de convoiter
Avec le cumul des ans, il serait exagéré de rêver à une parfaite santé, à la légèreté et la souplesse des jeunes années, à la parfaite maîtrise des nouvelles technologies, à faire le tour du monde. Par contre, plusieurs moyens sont à notre disposition pour assouvir notre besoin d’évolution et d’adaptation à la modernité. C’est l’occasion rêvée de passer du temps avec nos petits-enfants, familiers avec les médias modernes, qui en un clic et quelques explications nous aideront à utiliser les outils avec lesquels leur monde apprend, communique, voyage. Il deviendra un peu le nôtre aussi.
Mais pour apprécier ce temps des gestes lents, il faut cultiver la merveilleuse capacité de perdre son temps, d’apprécier cette flânerie nonchalante dans les heures et les jours, sans aucun regret des heures folles, des projets inachevés, des rêves brisés, de la solitude, des deuils et des amours trahies. Ouvrir page après page les albums jaunis, se promener dans sa mémoire, s’arrêter aux heures belles, et oublier les autres.
Vivre à petits pas, sans culpabilité en fredonnant avec Julien Clerc « Je peux être utile à vivre et à rêver. »