Madame, monsieur?
« Quand tu vas dans un endroit public, tu prends quelle toilette? » La question qui tue. Je suis en intervention pour le GRIS Estrie et, bien que je sois éternellement reconnaissant que les adolescents aient l’espace pour poser leurs questions, en tant que personne non binaire, ça me fait toujours un pincement au cœur de me la faire poser.
J’aimerais pouvoir dire avec certitude que si je vais dans une ou l’autre toilette, je me ferai respecter. Cependant, la réalité est que les témoignages d’horreur de gens qui vivent de la transphobie pour des trucs aussi banals qu’aller à la toilette me reviennent toujours en tête. Par conséquent, je choisis la toilette solitaire avec le pictogramme pour personnes handicapées en vue d’avoir la paix, la sécurité en premier.
Comment les corriger?
Même si certaines situations sont faciles à éviter, d’autres le sont moins. Par exemple, au travail : « Bonjour, mon nom est Lou. Comment puis-je vous aider? » Le « bonjour madame » qui suit après 90 % des cas de la part du client me donne un petit pincement au cœur chaque fois. Mais si je peux l’ignorer au travail, c’est qu’il y a d’autres situations plus dérangeantes au quotidien. Je pense à celle de la caissière de ma pharmacie qui va m’appeler en disant : « Pour madame Lou Reid! », ignorant ainsi le petit X à la place du F à mon dossier qui m’a pourtant pris des mois à obtenir. Il y a aussi celles du caissier à l’épicerie, de l’infirmière, de mon médecin, de la serveuse au restaurant ou même de la personne en situation d’itinérance qui me demande de l’argent; ils ignoreront ma mini moustache et ma voix à peine rauque et prépubère en se basant sur les deux bosses dans mon chandail pour assumer mon genre.
Les corriger? Je pourrais, c’est vrai, mais pour remplacer « madame » par quoi exactement? Un autre mot que monsieur ou madame n’existe pas encore dans la langue française, et tout le monde semble les aimer ces mots-là, « plus polis ». Mais s’ils savaient tous que chaque « madame » est pour moi un couteau en plein cœur, est-ce qu’ils m’appelleraient autrement? Si les mots « de politesse » ne le sont pas pour tous, peut-être qu’il serait temps de les changer, non?
Je me permets tout de même de rêver à un monde où les personnes non binaires ne seront plus seulement légales et respectées par obligation, mais complètement acceptées. Aussi, que leur présence ne sera plus un fardeau de politiques et de mots neutres « difficiles à se rappeler et pas naturels », mais qu’on nous laissera complètement exister et nous sentir valides, tout simplement.
Lou W. Reid, intervenant au GRIS Estrie
