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vol. 22, no 5

La marche de la vie

3 octobre 2024 | Par Jacques Quintin | vol. 22, no 5

Vous arrive-t-il de marcher et de vous dire que cela vous procure un bien énorme? Lorsqu’on marche, il n’y a que soi. Un dialogue avec soi-même. Le philosophe Platon dit que c’est ce dialogue qui nous donne une âme. Il est commun de dire que les philosophes pensent mieux ou écrivent leur pensée lorsqu’ils marchent. Il n’en va pas autrement des écrivains. J’ajouterais de tous les artistes. En constituer la liste serait trop fastidieux et ennuyant. Je pense quand même à Aristote, Rousseau, Thoreau et Kant.

La marche est l’expérience de la simplicité. Plusieurs sentiers publics aménagés en Estrie offre cette activité sans frais. ▪ Source : Alyssane Delage-Mongeau © 2023

La marche produit ses effets surtout lorsqu’on est seul. Bizarrement, lorsqu’on marche seul, on s’ouvre à tout un monde autour de soi : le ciel, le vent, le soleil, les arbres, les fleurs, les autres passants. Finalement, on n’est jamais seul. Tout attire notre attention et nous parle. La marche sans finalité, comme pour perdre du poids, nous apprend à voir les choses autour de soi, mais aussi les images qui traversent notre esprit.

Nous ne sommes plus sur le mode du travail, de la consommation, de la bougeotte. Les conventions sociales sont réduites au minimum. Plus besoin de reproduire des comportements normalisés. La marche est l’expérience de la simplicité. Il n’y a rien d’autres que notre corps qui avance comme s’il se frayait un chemin à travers l’existence. En ce sens, la marche devient une leçon de vie.

Je suis toujours surpris de constater combien peu de gens marchent les beaux soirs d’été. Je me demande où ils peuvent bien se terrer? Devant leur téléviseur, leur ordinateur, leur téléphone? Ou bien en train de coucher les enfants? En revanche, il m’arrive d’en croiser quelques-uns aux aurores. On se salue en guise de reconnaissance.

Je ne vous apprends rien en vous disant que la marche ne coûte rien. Même pas besoin de chaussures spéciales. Ni de vêtements super techniques. Au diable la mode! C’est sûrement l’activité la plus démocratique. Les classes sociales ne comptent plus, n’étant plus perceptibles.

Je remarque que je reviens de mes marches la tête vide comme si je m’étais arraché à je ne sais trop quoi. Ce n’est pas pour rien que plusieurs ascètes dans l’histoire furent de grands marcheurs, souvent dans le désert. Vous avez l’âme en peine, alors sortez et marchez. Ne revenez qu’avec la joie au cœur.

C’est en foulant la terre qu’on prend conscience que nous lui appartenons et que tout ce qui existe est présence. Il faut quand même y mettre du temps à ne rien faire, sauf marcher. Et marcher encore au rythme dicté par nos jambes. Aux enfers les plans d’entraînement!

En marchant, je me sens saisi par une sorte de rêverie, toute légère, qui me fait comprendre autrement les choses de la vie. Je n’ai même pas besoin d’un paysage particulier à contempler. Tout est dans le geste à l’intérieur duquel se dépose une présence, une harmonie, une communion. Finalement, la marche reflète notre manière de traverser l’existence : un pas à la fois.

Jacques Quintin, philosophe

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