Des particules d’amour errant

6 décembre 2024 | Par Pierrette Denault | Interculturalisme, vol. 22, no 6

Le regretté poète Christian Bobin écrivait dans La folle allure : « Il y a partout, mélangées aux particules de l’air que nous respirons, des particules d’amour errant. Parfois elles se condensent et nous tombent en pluie sur la tête. »

Alemy Gulam Sakhy, immigrant arrivé au Canada en 2001, camelot du Journal de rue de l’Estrie apprécié par ses pairs. ▪ Source : Jean-François Dupuis © 2022.

L’importance des rencontres

Ainsi nous serions la somme de toutes nos rencontres – brèves ou non – chaque personne laissant une empreinte sur nous, et vice-versa. Une évidence quand on pense à nos proches. Mais pour le besoin de cet exercice, j’ai voulu m’attarder à dresser une liste (en vrac et non exhaustive!) de personnes immigrantes croisées à Sherbrooke au fil de mes activités. J’ai été soit leur enseignante, leur confidente, leur amie. Depuis quelques années, j’ai recueilli leurs histoires et les ai racontées dans ce journal. Aujourd’hui, je me demande ce que m’ont apporté ces gens venus d’ailleurs? Chacun m’a façonnée à sa manière. Les uns m’apprenant à devenir une enseignante inclusive, une citoyenne engagée, les autres à me positionner quant aux enjeux du vivre-ensemble et aux rapprochements interculturels.

Je pense d’abord à mes parents

qui adoptaient, en 1946, un bébé à la peau d’ébène – ma sœur serait la seule enfant noire de l’école Sainte-Famille pendant tout son primaire;

je pense à Shaky

vaillant camelot de rue, le corps ici, la tête et le cœur à Kyiv, là où sa fille soigne sous les bombes des victimes innocentes;

je pense à Frida

si joviale et chaleureuse qui me demandait pourquoi ses voisins de palier ne répondaient jamais à ses salutations – à ce jour, je cherche toujours quoi répondre à cette question;

je pense à Niane

diplômé en Mauritanie puis à Paris puis à l’Université de Sherbrooke – un cerveau bien rempli - en exil au Manitoba à défaut de décrocher un emploi au Québec;

je pense à Marie-Claire

qui a grandi dans une famille polygame et qui en dénonce les conséquences sur les droits des femmes dans son roman Les victimes consentantes;

je pense à Thierry

adolescent arrivé du Rwanda, avec pour seule compagnie sa petite valise et ses souvenirs rouge sang – aujourd’hui il est employé de la Ville de Sherbrooke;

je pense à monsieur Ti-I Taming

qui a fait de la lutte contre le racisme et l’exclusion son éternel cheval de bataille – le département d’histoire de l’Université de Sherbrooke vient de lui consacrer un balado;

je pense à Zhoreh

rappelée de force à Téhéran, maîtrise ès sciences en poche, cachée sous son abaya après avoir goûté ici à la vie libre;

je pense à Majid

venu étudier ici, jamais retourné dans son bled marocain, et qui a pris une femme pour pays;

je pense à Alberto

éternel chercheur d’emploi, bardé de diplômes et multilingue qui se résigne à gagner sa vie dans une centrale d’appels – ses poèmes sont lus partout sur la planète;

je pense à Behnâm

qui a vite perdu ses repères de macho au profit d’une vie de couple épanouie;

je pense à Lina et Sarmad

qui ont laissé Bagdad derrière eux et qui couvent leurs petits dans un nid tout chaud dans l’ouest de la ville;

je pense à Philomène

qui a fui le chaos de Centrafrique et qui a trouvé avec Jules un pays tranquille pour élever ses marmots;

je pense à Jean Civil

collègue de travail, mort à l’aéroport de Port-au-Prince au lendemain du tremblement de terre et dont la poésie vibre toujours au Québec;

je pense à Quang

qui a fait des progrès fulgurants en consultant son dictionnaire vietnamien-français jusque dans la cour de récréation au Goéland;

je pense à Élie-Pierre Gill

collègue de travail engagé, d’une droiture absolue, racé, digne, érudit, chassé d’Haïti par le dictateur Duvalier;

je pense à tous mes élèves étrangers (petits, grands et adultes) – Thy Phon, Tâm, Janko, etc. qui se sont débattus pour apprendre le français;

je pense à ce monsieur népalais

ployant sous sa charge qui n’en finissait plus de me remercier de l’avoir fait monter à bord de ma voiture;

je pense à Ensaf, la courageuse, qui s’est tant battue pour la libération de Raïf – sa détermination est un modèle pour tous;

je pense à toutes ces personnes immigrantes qui, entrées comme bénévoles, ont grimpé tous les échelons jusqu’à diriger les destinées des organismes – merci à vous Mercédès, Mariamme et les autres.

Toutes ces rencontres sont des particules d’amour errant condensées qui me sont tombées sur la tête, comme dirait Bobin. Elles ont fait de moi ce que je suis : une personne pour qui le respect des différences, l’égalité et l’inclusion demeurent un leitmotiv constant. J’ai souvent prêté l’oreille, on m’a raconté des histoires de vie inimaginables, des parcours migratoires édifiants, on m’a chuchoté des chagrins inconsolables. On m’a parlé de vie nouvelle, de sacrifices pour faire venir les siens – la réunification familiale est souvent au cœur des souhaits des exilés - de budgets rétrécis comme peau de chagrin après en avoir expédié une partie aux familles laissées derrière. Combien de fois n’ai-je pas été émue aux larmes en recueillant des confidences!

Un appel à collaboration

C’est dans une optique d’inclusion et de partage que le Journal de rue de l’Estrie lance aujourd’hui une série d’articles sur l’immigration. Vous avez une histoire d’immigration à raconter, vous êtes un organisme en lien avec les immigrants : cet espace est pour vous. Nous pouvons également aller recueillir votre histoire. Contactez-nous au (819) 348-0086.

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