Les origines du nom maskinongé
Connaissez-vous le mot maskinongé ? Ce nom masculin, que François Pérusse fait rimer avec « masque inondé » dans la célèbre chanson Sagouine’n Roses, désigne usuellement le brochet, une sorte de gros poisson. Selon le dictionnaire Usito, il réfère plus exactement à Esox masquinongy, une espèce de « [p]oisson d’eau douce de l’est de l’Amérique du Nord, étroitement apparenté au brochet, mais de plus grande taille et présentant des taches sombres sur fond clair. »

▪ Source : Freshwater and Marine Image Bank. Domaine public.
D’où vient donc maskinongé? Alors que le Dictionnaire historique du français québécois reste silencieux à ce sujet, Usito indique succinctement qu’il est issu « de l’algonquien ». Ainsi, maskinongé est un autochtonisme : un emprunt lexical d’origine autochtone. Comme bien d’autres mots empruntés par le français ou l’anglais aux Premiers Peuples, il serait hardi de le rattacher avec certitude à une seule langue. Son origine semble plutôt s’inscrire dans une série de langues apparentées. En effet, l’algonquien ne désigne pas une langue unique, mais une vaste famille linguistique qui comprend, à titre d’exemples, l’eeyou, l’innu, le naskapi et l’ojibwé.
La Base de données lexicographiques panfrancophone (BDLP), élaborée pour sa portion québécoise par l’équipe du Trésor de la langue française au Québec, propose une synthèse des connaissances accumulées à ce jour sur l’origine du mot maskinongé. Elle souligne que
«[d]epuis la seconde moitié du XIXe s., on a pris l’habitude d’attribuer au mot amérindien le sens de “gros brochet” […] ou celui de “poisson laid, difforme” » et précise qu’« aucune de ces interprétations […] n’a encore été confirmée par les spécialistes des langues algonquiennes. »
Qu’en est-il donc ? Les deux explications mentionnées par la BDLP recèlent à la fois une part d’approximation et une part de vérité. D’abord, l’idée de « grosseur » ne parait pas liée aux constituants étymologiques algonquiens du nom de ce poisson et relève plutôt de sa description très générale. De même, l’idée de « laideur » semble découler d’une interprétation étymologique un peu trop étroite. En revanche, l’œil averti reconnait la parenté plus ou moins directe qu’entretient le français maskinongé avec l’ojibwé maashkinoozhe, de même sens, qui est lui-même composé de variantes de maazhi- « difforme » et ginoozhe « brochet ». Les données publiées dans le Ojibwe People’s Dictionary de l’Université du Minnesota sont compatibles avec cette interprétation et permettent de l’affiner : le préfixe maazhi- y est glosé par « mauvais; mal formé » (« bad; ill-formed ») et le nom animé ginoozhe y est enregistré comme celui du « grand brochet » (« a northern pike »).
En somme, on peut décrire maskinongé comme un autochtonisme algonquien apparenté à l’ojibwé maashkinoozhe, qui signifie étymologiquement « mauvais brochet » ou, plus exactement, « brochet mal formé ». En revanche, la proposition selon laquelle les constituants du mot renvoient à un « gros poisson laid » repose, selon toute vraisemblance, sur une interprétation inexacte des données disponibles. Ainsi se démêlent les fils d’une étymologie longtemps demeurée incertaine.
Gabriel Martin, linguiste