Avoir de l’envergure – Entrevue avec Gérard Pierre Ti-I Taming
Après avoir quitté son île natale, La Martinique, dans les années 60, Gérard Pierre Ti-I-Taming s’installe au Québec. D’abord comme musicien, compositeur et chanteur engagé. Puis, comme homme d’affaires aguerri. Un événement lui fera prendre un autre tournant : consacrer sa vie à la lutte contre le racisme et toute forme d’exclusion. On le verra régulièrement sur la scène publique. Vantant les mérites du multiculturalisme, il multipliera colloques et galas en plus de participer à la mise sur pied d’une banque d’interprètes pour les nouveaux arrivants. Parallèlement, il fondera son propre organisme, le CIPO (Centre International de la Pensée Optimale) et publiera quelques essais doctrinaux sur la méditation et la théorie métapsychique pour l’épanouissement du mental. Dr Ti-I-Taming est l’auteur de plusieurs livres. Aujourd’hui, il nous offre le tome 2 de Soleil noir- La dignité ou la mort édité par sa propre maison d’édition fondée en 1988, Les Éditions Chérie 88 inc.
Le premier tome de Soleil noir relatait la lutte des Noirs pour leurs droits civiques et leur dignité. Le second tome nous entraîne dans le sillage de l’auteur alors qu’il s’évade de son île natale pour entreprendre, à sa manière, une guérilla contre le dénigrement systémique et la ségrégation raciale. Assoiffé de liberté, Gérard Pierre Ti-I-Taming va vivre libéré de toute contrainte, loin des interdits familiaux, culturels et gouvernementaux. Opiniâtre, déterminé, il se sent investi d’une mission, celle de mener son combat pour la dignité humaine. Entrevue avec un homme qui ne manque pas d’envergure.
JdeR : Vivre en suivant son idéal semble être le leitmotiv de toute votre vie. Croyez-vous y être arrivé?
GPT : En Martinique, les Noirs étaient dominés, et moi je ne voulais pas dépendre des autres ni subir leurs choix. J’ai toujours suivi ma route et vécu selon mes choix. Prêt à défendre bec et ongles ma liberté d’agir.
JdeR : Aux quatre coins de la planète, on assiste à la montée du racisme qui se traduit de plusieurs façons. Selon vos expériences personnelles, à quoi faut-il attribuer ce phénomène?
GPT: Le racisme, sous toutes ses formes, est toujours latent. Les Noirs le subissent et le subiront toujours quelle que soit l’époque, quelle que soit la méthode. La discrimination, l’exclusion, la xénophobie, la ségrégation, l’apartheid, l’islamophobie, etc., sont des formes diverses de domination sur l’autre. Hitler en est un exemple concret, lui qui a éliminé six millions de Juifs sous prétexte de parvenir à « une race pure ».
JdeR : Vous affirmez, en page 74 du tome 2, qu’il n’y a qu’une seule race, la race humaine. Comment arrive-t-on à intégrer fondamentalement ce concept?
GPT: La notion de « race » est une invention des colonisateurs : KKK, nazisme, colonialisme, etc. Une étude génomique récente le confirme : tous les humains descendent d’une même population d’Afrique noire.
JdeR : L’intégration, c’est l’affaire de tous, déclariez-vous récemment dans une conférence de presse. Autant des citoyens « naturalisés » que des Québécois « de souche ». Quels conseils donneriez-vous à une personne venue d’ailleurs – peu importe son statut – pour réussir une intégration harmonieuse à sa société d’accueil?
GPT: Je lui dirais de bien réfléchir à son idéal, de prendre des décisions et de s’y tenir. Cette personne doit se rendre visible en participant à des activités, en allant à la rencontre de l’autre, en s’impliquant auprès des organismes. Rentrer dans un groupe est un atout pour parfaire ses connaissances sur la communauté d’accueil, mais aussi pour se faire connaître. Faire preuve de créativité en se demandant ce qu’on peut faire, en tant qu’immigrant, pour laisser sa marque. Et, surtout, créer des liens, s’instituer en réseau.
JdeR : Quels conseils donneriez-vous à un Québécois dit « de souche » pour être partie prenante de cette intégration?
GPT : L’immigration est un « business » : faire à autrui ce que l’on aurait aimé qu’on fasse pour nous. Aller à la rencontre de l’autre, le saluer, s’informer de ses besoins, lui consacrer du temps de qualité, l’inviter chez soi. Des petits gestes du quotidien qui, multipliés dans un réseau, donnent des résultats remarquables. Combien de personnes venues d’ailleurs n’ont jamais été invitées à la table d’un Québécois dit de « souche », ne serait-ce que pour un bouilli « canayen » ! Cette personne pourrait aussi participer à des activités de jumelage interculturel : une belle façon de grandir en expériences de vie tant pour la personne immigrée que pour celle qui l’accueille.
JdeR : Si vous aviez le pouvoir d’améliorer le processus actuel d’immigration, quels aspects questionneriez-vous en premier?
GPT : Je crois que le plus gros problème vient de la double charnière des sélectionneurs (multiculturalisme au Canada et intégration au Québec). Deux visions du monde qui s’opposent. Après les belles promesses qu’on leur a fait miroiter, ces réfugiés découvrent une réalité bien différente au Québec : apprendre une nouvelle langue dans des conditions qui ne sont pas les meilleures. Vivement le retour des COFI qui, hélas, ont été abolis dans la foulée des compressions budgétaires des années 2000. Se trouver un emploi dans son champ de compétence représente un très grand défi pour toute personne immigrante.
JdeR : Au fil des ans, vous avez mis sur pied un très grand nombre d’activités impliquant des personnes de diverses origines. Pouvez-vous nous en rappeler quelques-unes?
GPT : Un très grand nombre de ces activités est relaté dans le livre. Je garde un bon souvenir de mes rencontres avec les élèves d’André-Daniel Drouin, qui m’a invité plusieurs fois dans ses classes pour apporter un témoignage et répondre aux questions sur l’immigration, le racisme, etc. J’ai aussi donné des conférences dans des classes du secondaire et devant des universitaires. Depuis 1988, j’anime des ateliers d’intégration. Je crois que connaître les lois et règlements de la société d’accueil est absolument nécessaire et qu’il faut aussi connaître ses droits et ses devoirs en tant que citoyen. J’ai également participé à la mise sur pied d’une banque d’interprètes à Sherbrooke. De plus, j’ai développé le concept d’harmonisation des relations interculturelles. Avec la Commission des droits et libertés de la personne, en collaboration avec la Ville de Sherbrooke et le CIPO (Centre Interculturel Peuplestrie Optimum inc), nous avons mis sur pied le Comité de Vigilance.
Monsieur Ti-I-Taming conclut cet entretien par cette confession : avoir un idéal c’est bien, mais il faut en garder le secret comme une place forte. Ne rien dévoiler, nonobstant les circonstances et les événements. On ne doit jamais dévier de son rêve. Belle note d’espoir!
Le Journal de rue remercie Dr Ti-I-Taming pour cet entretien.