Quand s’ouvrent les vannes
[… et si j’étais grosse pour ne pas être choisie pour ne plus jamais l’être par un homme qui domine sans le savoir ou le vouloir parce que c’est là et que c’est inscrit et que c’est malgré lui…]. Qui connaît Lynda Dion sait très bien que, dans la vie comme dans les livres, elle se dévoile toujours sans compromis. Ne garde rien pour elle. Ose se mettre à nu jusqu’au trognon, jusqu’à l’impudeur. Se placer publiquement dans un tel état de vulnérabilité, quossa donne? diront certains. Se pourrait-il qu’en parlant de ce qui lui arrive personnellement, Lynda Dion cherche à donner à l’intime un caractère universel? Parions que c’est ce qu’elle tente de faire dans Grosse, un quatrième titre publié ce printemps chez Hamac.
L’auteure
Lynda Dion enseigne le français et la création littéraire au secondaire. Elle a fondé le concours littéraire Sors de ta bulle et elle est aussi écrivaine. Depuis 2011, l’auteure sherbrookoise échafaude une œuvre non fictionnelle dont les premiers titres sont La Dévorante, La Maîtresse et Monstera deliciosa. Cette fois, elle questionne de manière frontale le rapport au corps, la détestation de soi, l’exclusion - douleur que connaissent celles et ceux dont le corps ne correspond pas aux diktats de la beauté.
Grosse
Le titre s’impose de lui-même : Grosse. Écrit en gros caractères. Grosse pour grosse vache, grosse truie, gros cul. En quatrième de couverture, les mots de la mère : quand on a des bourrelets on ne fait pas exprès pour les montrer. Le ton est donné avant même d’ouvrir le livre qui comprend huit sections et autant de dessins d’elle-même que l’auteure tente de faire parler. Il y a partout cette géante avec laquelle elle se démène depuis l’enfance. Une Gulliverte qui refuse de se ratatiner, de se conformer. Dans une suite de plus de soixante-quinze chapitres de longueur variable, elle raconte les chemins difficiles : les excès et les privations, les rechutes, les ennuis de santé qui la guettent, la mort vue de si près, le couteau sur le ventre. Et « la honte patchée sur la peau… telle une hache qui s’abat ».
L’écriture sans virgules
Dans un rythme fulgurant imposé par l’absence de ponctuation, le récit se déroule à toute vitesse: chaque chapitre se déploie sans virgules, la cadence s’impose d’elle-même et la lecture se fait sans difficulté, même pour les lecteurs moins habitués. Les premiers mots « J’avais un couteau de boucherie appuyé sur le ventre quand j’ai compris qu’il fallait que je fasse quelque chose. » sont suivis d’une page noire. Il fait nuit, la mort rôde. On sombre avec Dion, on disparaît avec elle dans les bas-fonds, on remue des eaux troubles. Jusqu’où s’enfoncera-t-elle dans ce magma de souvenirs?
Un second niveau de lecture
Au-delà de cette confession de l’auteure, Grosse force une autre lecture. Ne pourrions-nous pas rêver d’un monde sans clivage où serait exclue l’obsession de la perfection? Un monde où chaque femme pourrait être autre chose qu’un corps…
Références : Grosse de Lynda Dion est publié chez Hamac
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/grosse-845.html