Vous avez dit fantastique
Vous avez lu du fantastique, récemment? Non, non, je ne parle pas de ces histoires de chevaliers pourchassant des dragons, de ces livres aux couvertures chatoyantes qui commencent au tome un pour finir sept ou huit tomes plus tard. Oubliez les gnomes et les elfes. Je parle, ici, du fantastique. Du vrai. Vous savez, ces histoires dans lesquelles tout semble normal. Au début.
C’est le récit d’une femme ou d’un homme comme vous. Le téléphone sonne, faux numéro. Cette voix, pourtant… n’était-ce pas celle de la mère, morte dix ans auparavant?
Un personnage traverse la rue. Distrait, il plonge dans son téléphone intelligent. Plus loin, il relève la tête. Le voilà sur le coin de cette même intersection qu’il venait de franchir il y a cinq minutes… ou non? Sûrement la fatigue. Inquiet, tout de même, il poursuit son chemin.
Un étudiant avance dans les corridors souterrains de l’université, pour éviter le froid. Il est seul. Il passe devant cette murale peinte des années auparavant par des finissants qui ont dû s’en donner à cœur joie à dépeindre ces personnages difformes. Le lendemain, devant la même murale, un des visages semble avoir disparu. Il aura rêvé, bien sûr, le stress de la fin de session, la révision jusqu’au petit matin. Quoique…
Depuis des siècles, les auteurs s’amusent à flirter avec cette frontière, parfois si mince, entre la raison et la folie. Quand vous plongez dans un récit où le personnage est lui-même confronté à ce doute, à cette hésitation intenable… ça y est! Vous êtes en train de lire du fantastique. Lorsque l’exercice est bien mené, cet inconfort passe du personnage jusqu’à vous, lecteur! Oui, une angoisse diffuse, rien de bien grave, rien d’alarmant, mais, en fait… un peu tout de même, circule dans vos veines. Vous doutez, et c’est exactement là que l’auteur vous veut. Ce doute, cet « effet fantastique », c’est tout l’art associé au genre qui se déploie. C’est aussi la source de la jouissance qu’en retire le lecteur. On veut savoir, ce protagoniste est-il fou? A-t-il rêvé?
Et toute la science de l’auteur sera de ne jamais réellement vous donner satisfaction. Pourquoi en écrit-on encore? Parce que le fantastique est un terrain de jeu formidable pour mettre en scène les questions qui nous tiennent, souvent inconsciemment, en haleine. Si jadis on y explorait les revenants, les bruits étranges au cœur de la nuit, au plus profond de manoirs anglais éloignés, les thèmes et les motifs ont bien changé. De nos jours, ne soyez pas surpris de voir les personnages aux prises avec les changements climatiques, les nouvelles technologies, les médias sociaux… les enjeux qui nous taraudent sont la matière première des écrivains fantastiques qui se font un malin plaisir d’y plonger leurs personnages. Et vous, par le fait même.