Journal d’une ancienne toxicomane
J’ai souvent entendu dire que les drogués sont des lâches, qu’ils n’ont aucune volonté, qu’ils profitent du système et qu’ils n’ont qu’à arrêter de consommer et à aller travailler. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples que cela, croyez-moi! Avec un peu de chance, mon histoire vous ouvrira l’esprit et vous saisirez l’enjeu de la toxicomanie. Si le sujet vous est déjà familier, vous verrez qu’il y a moyen de vous en sortir ou d’aider quelqu’un de votre entourage à y arriver. Les personnes qui consomment ont besoin d’aide dans plusieurs sphères de leur vie, arrêter de consommer ne se fait pas en criant ciseau. Il faut que les mentalités évoluent pour enrayer les préjugés faces aux toxicomanes.
Ma guerre commence le 20 juillet 1998. C’était un lundi après-midi ensoleillé, mon père et moi étions en route vers Weedon où se trouvait le chalet familial. Le reste de la famille nous y attendait. Nous parlions d’aller manger une crème glacée au village et de nous baigner dans la rivière dès notre arrivée. Toutefois, nous ne nous sommes jamais rendus. Une caravane avec deux passagers nous a rentré dedans. Le conducteur s’était endormi. C’est au CHUS Fleurimont, sous l’effet de doses massives de morphine, que j’ai appris que mon père était décédé et que j’ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même. On peut dire sans se tromper que cette date est le point de départ d’un long voyage en enfer. Si j’avais continué dans le train de vie que je menais, j’aurais sans doute atterri tout droit à la morgue. J’ai eu de la chance, c’est pourquoi j’ai décidé de vous livrer une parcelle de mon intimité.
Mon premier contact avec la drogue était un passage obligé. J’ai été gravement brûlée dans mon accident d’auto. Mon état nécessitait l’administration de morphine. De 1998 à maintenant, je me suis plusieurs fois retrouvée sur la table d’opération. Au début, je prenais ma médication juste pour enrayer la douleur, mais rapidement j’ai pris conscience que chaque dose me faisait sentir mieux : je pouvais soulager la douleur de la perte de mon père, de mon corps qui ne serait plus jamais le même esthétiquement. Avec la morphine, la colère et la tristesse ne me pesaient enfin plus sur les épaules.
À 17 ans, j’ai commencé à sortir dans les bars, j’y ai consommé ma première ligne de cocaïne. De la confiance et un peu de plaisir, c’est ce que je cherchais. Lentement, je suis passé d’une consommation sporadique à une consommation quotidienne. Le fait que tous mes rêves s’envolaient en fumée m’a poussée à m’enfoncer davantage. Je vivais la tête dans un nuage, j’avais des attentes surréalistes pour ma condition, mais une féroce volonté de vivre normalement.
Il m’a fallu du temps pour prendre conscience de mon problème de consommation.Je me victimisais et je me disais que les bonnes raisons ne manquaient pas pour consommer. La sensation que l’on éprouve lorsque survient l’envie de consommer est très difficile à expliquer. C’est comme une chose plus forte que toi qui t’embrouille les idées et qui, même si tu as très envie d’arrêter de consommer, prend le dessus. Après tu te sens lâche, tu as des remords et tu te demandes pourquoi tu n’as pas réussi à résister. Tu te dis que la prochaine fois sera sûrement la bonne, mais sans aide c’est impossible.
Après réflexion, j’ai compris que j’étais devenu confortable dans l’inconfort. C’est-à-dire que j’étais habituée aux sentiments et aux symptômes physiques que je vivais lorsque j’étais malheureuse. C’était plus facile pour moi de rester en territoire connu que d’explorer de nouvelles émotions plus positives. Je ressentais de l’insécurité : j’avais peur d’être déçue et de souffrir si je me risquais à goûter au bonheur.
Après mes thérapies, j’ai réalisé que lorsque je consommais je ruinais complètement mes chances d’arriver à me bâtir une vie heureuse. J’étais tellement en colère que mon accident me pourrisse encore la vie par des blessures psychologiques et physiques. Malgré les chirurgies régulières, j’allais devoir l’accepter pour tourner la page de la toxicomanie. J’avais trop de rêves pour ne pas tenter de les réaliser et je n’allais certainement pas baisser les bras après tout ce que j’avais enduré!
Je me suis mise en action
J’ai fait la liste de mes problèmes et j’ai contacté les ressources susceptibles de m’aider. Je me suis créé des objectifs réalistes. Ce fut un processus de plusieurs années, je suis tombée souvent, mais je suis relevée. Ma vie a complètement changé.
Heureusement, j’ai des proches qui me soutiennent, je suis persévérante et j’ai beaucoup de volonté. J’ai trouvé les bonnes ressources, suivi deux thérapies et participé à un groupe d’entraide. J’ai ainsi repris le contrôle de ma vie, de mon budget et je me suis même mise à faire du bénévolat. Rapidement, mon estime personnelle a augmenté, j’ai eu la chance de me retrouver. Je sais qu’il est possible que je retombe un jour, mais je saurai où aller si ça arrive.
Vivre sobre est la meilleure chose qu’il me soit arrivée. Il y a tellement de choses à voir, tellement de trucs à essayer et tellement d’expériences à vivre. À toi qui a envie d’arrêter de consommer, je dis : lance-toi, tu ne le regretteras pas! Aux proches d’une personne toxicomane : il est primordial de savoir que votre soutien peut faire toute la différence.
Chérir un rêve, se donner une chance, demander de l’aide, identifier des personnes de confiance, peut vous donner des ailes et vous sortir de l’enfer. J’en suis la preuve vivante.