Maman, j’ai faim
Vous venez de perdre votre emploi, l’école, qui est fermée, ne fournira plus le petit-déjeuner à vos enfants, soudain une question vous taraude : vous vous demandez comment vous arriverez à payer le loyer, régler les factures et surtout nourrir les vôtres … Bref, une bombe est tombée sur la rue Principale!
Insécurité alimentaire
La crise de la COVID-19 met en lumière un grand nombre de disparités économiques. Un sondage réalisé pour la Guignolée des médias par Synopsis Recherche Marketing en mai 2020 révèle qu’un Québécois sur dix a réclamé de l’aide pour se nourrir ou nourrir sa famille et que près d’un Québécois sur cinq estime qu’un mois après la fin de l’aide gouvernementale actuellement offerte (CPU), il ne sera plus en mesure d’assurer la sécurité alimentaire de sa famille. Au total, ce sont plus de 322 000 personnes qui ont été forcées de se tourner vers les comptoirs d’aide alimentaire durant les deux premiers mois de la pandémie. À Sherbrooke, on estime que 20% des demandeurs qui ont eu recours à Moisson Estrie le faisaient pour la première fois de leur vie.
Qu’est-ce que l’insécurité alimentaire?
Vous vivez de l’insécurité alimentaire lorsque vous êtes incapable d’acheter des aliments sains et nutritifs qui vous satisfont personnellement. Soit parce qu’ils coûtent trop cher ou soit parce que ces aliments ne sont pas disponibles à proximité de votre domicile. Il est facile d’imaginer l’inquiétude dans laquelle vous vous trouvez lorsque vous êtes incapable de vous nourrir adéquatement ou de nourrir votre famille.
Quelles sont les causes?
Au Québec, comme dans tous les pays industrialisés, les aliments sont disponibles en grande quantité: dépanneur, marché du coin, marché public, marché à grande surface, etc. Mais est-ce suffisant pour assurer la sécurité alimentaire de tous? Poser la question, c’est y répondre, surtout en ce temps de pandémie. En effet, comment accéder aux aliments quand les ressources financières ne sont pas (ou plus) au rendez-vous? Plusieurs familles vivent (ou vivotent!) en ce moment avec un revenu insuffisant. Leur marge budgétaire étroite freine considérablement l’accès à des produits de qualité.
Outre les ressources financières limitées, une autre cause entrave cet accès : en effet, comment se rendre jusqu’aux marchés de grande surface, qui offrent souvent de meilleurs prix, si on est à pied ou si on n’a pas les moyens de prendre le transport en commun?
Quelles en sont les conséquences?
L’insécurité alimentaire apporte son lot de souffrances. En plus de devoir composer avec la faim, certaines personnes vivent une misère psychologique pouvant aller de la perte d’appétit ou de concentration jusqu’à la détresse ou à une perte d’estime d’elles-mêmes. D’autres vont se priver jusqu’à mettre leur santé mentale en péril, s’isolent parce qu’elles éprouvent un sentiment de honte. Des témoignages révèlent que certains parents craignent même de perdre la garde de leurs enfants parce qu’ils sont incapables de les nourrir adéquatement.
Des solutions?
Il existe, bien sûr, des solutions ponctuelles. Aider discrètement une personne ou une famille que vous connaissez en est une. Contribuer à des banques alimentaires de votre région en est une autre. À titre d’exemple, chaque dollar remis à Moisson Estrie est multiplié par 16 grâce aux partenaires qui ont à cœur la sécurité alimentaire de nos concitoyens. Saviez-vous que chez Moisson Estrie 16 884 personnes reçoivent une épicerie sociale chaque mois? La COVID-19 fera sans aucun doute augmenter ce nombre.
Partout, les organismes font appel à la population. Au-delà des contributions amassées à gauche et à droite, il devient de plus en plus crucial de trouver des solutions durables à ce problème. Est-il pensable d’atteindre la sécurité alimentaire pour tous les citoyens? Il faut d’abord une volonté politique, un effort commun à l’aune de la solidarité. La solution se trouve sans aucun doute entre les mains de différents groupes de personnes qui pourraient exercer leur influence et agir comme levier économique pour venir en aide aux moins nantis. Néanmoins, qui dit que la solution ne se trouverait pas aussi entre les mains de citoyens qui, au nom de l’équité sociale, exerceraient des pressions sur les élus afin d’assurer à tous un revenu décent?
Des préjugés tenaces[i]
Mais il faudrait a priori abattre des préjugés tenaces. En voici quelques-uns qui ont la couenne dure :
- Ne pas manger à sa faim, ça ne se peut pas au Québec.
Faux. En 2003, 13,1 % de la population de 12 ans ou plus disait avoir vécu, en raison d'un manque d'argent, au moins un des aspects suivants de l'insécurité alimentaire : manque de nourriture, monotonie de l'alimentation, inquiétude à l'idée de manquer de nourriture
- La faim est un problème qui touchent surtout les personnes itinérantes.
Vrai et faux. Bien qu’elle soit un problème récurrent chez les itinérants, la faim touche des personnes de toute condition et de tout âge. Personne n’est à l’abri.
- Si des personnes connaissent un problème d’insécurité alimentaire, c’est parce qu’elles ne veulent pas s’en sortir. Elles n’ont qu’à travailler.
Faux. De nos jours, une situation économique de plein emploi ne suffit plus pour passer de la pauvreté sans travail au travail sans pauvreté. En fait, il ne s’agit plus de trouver un emploi, mais d’en trouver un (ou parfois deux!) qui permette un niveau de vie adéquat!
- Les personnes sont en insécurité alimentaire parce qu’elles ne savent pas se débrouiller, parce qu’elles dépensent leur argent pour du superflu… comme une télé à écran plat.
Faux. Les personnes en insécurité alimentaire vivent dans la même société de consommation que les personnes mieux nanties. Elles sont soumises aux mêmes messages publicitaires et aux mêmes incitations à consommer. Elles ressentent donc les mêmes désirs, les mêmes envies pour les multiples biens de consommation offerts.
- Maintenir les prestations d’aide sociale au plus bas incite à chercher du travail.
Faux. « En 2019, une personne assistée sociale vivant seule reçoit 644 $ par mois comme prestation de base. En se référant à la mesure du panier de consommation (MPC), un indicateur qui rend compte de la pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base (vêtements, nourriture, logement et transport), on s’aperçoit que cette prestation ne permet de couvrir que 42 % de ces besoins. Si on ajoute à cela les différentes mesures fiscales (crédit d’impôt pour solidarité et crédit pour la TPS), le revenu disponible d’une personne assistée sociale s’élève à 776 $ par mois, ce qui correspond à la couverture de 51 % des besoins de base. Des prestations trop minimales, comme c’est le cas actuellement, ont surtout l’effet de maintenir les personnes en situation d’extrême pauvreté. Plus souvent qu’autrement, le temps passé chaque jour à garantir sa sécurité alimentaire, et celle de ses enfants le cas échéant, empêche d’entreprendre des démarches pour trouver un emploi ».[ii]
- Je connais des personnes qui demandent de l’aide alimentaire et qui sont obèses. Elles ne doivent pas manquer tant que ça de nourriture!
Faux. Très souvent, les personnes en insécurité alimentaire ne peuvent s’offrir que des aliments bon marché qui tendent généralement à être plus caloriques et d’une qualité nutritionnelle médiocre (beaucoup de gras et de sucres, mais peu de fruits et de légumes).
- L’atteinte d’une sécurité alimentaire pour tous est principalement l’affaire des organismes communautaires et caritatifs.
Faux. Assurer la sécurité alimentaire pour tous s’inscrit dans le contexte plus large de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il s’agit donc d’un enjeu collectif majeur qui doit mobiliser toutes les parties de la société et tous les secteurs de l’économie.
- Penser éliminer complètement l’insécurité alimentaire est irréaliste.
Vrai. Bien qu’il soit impensable de faire disparaître cette inégalité sociale, il faut travailler dans ce sens. La production mondiale peut nourrir toute la planète : il faut rendre la nourriture accessible à tous (par exemple, par un revenu décent) afin que le droit fondamental de se nourrir de chaque citoyen soit respecté.
En résumé, la plupart de ces préjugés ne tiendront pas la route si on se rappelle que derrière chaque personne il y a une histoire. Et que pour certaines personnes, l’histoire commence avec la pandémie…
[i] Source : CIUSSS Capitale nationale
[ii] Olivier Ducharme, chercheur au Collectif pour un Québec sans pauvreté