Le vide existentiel. Une autre pandémie?

1 août 2021 | Par Jacques Quintin | Philosophie, Société, vol. 19, no 4

Les experts ne cessent de marteler que la pandémie met en détresse plusieurs personnes. On s’attaque à cette question sous l’étiquette de la santé mentale. Je crois qu’il est possible de proposer une autre lecture. Par exemple, on peut imaginer que la pandémie a mis en lumière le vide existentiel qui habite une bonne partie de la population.  

Le concept du nihilisme, qui signifie « rien », peut servir pour comprendre ce mal-être. Il y a deux versants au nihilisme : un versant négatif et un versant positif.  

On ressent fortement cet aspect négatif de l’existence au moment de pertes significatives dans nos vies. On perd un être cher, un emploi. On se sent senti trahi dans nos rêves. On n’y croit plus. C’est le désespoir qui nous habite.  

Grosso modo, le nihilisme est la croyance qu’il n’y a pas de sens à l’existence ou que les valeurs sont sans fondements. Il n’y a rien d’important. C’est le rejet total de tout idéal, de tout rêve.  

Ça donne la dépression. La personne voit les choses du monde sans ouverture, comme une fenêtre dont les volets sont fermés. Par exemple, une chaise ne devient qu’un ramassis de matière. Elle est sans lien ou sans relation avec son monde. Autrement dit, elle est dénuée de sens. Alors, à quoi bon vivre? 

Même si on a l’impression d’être très puissant avec nos techniques de vie, dont certaines psychothérapies ou injonctions morales à bien vivre, non seulement on ne peut rien contre la menace du vide existentiel, mais paradoxalement, c’est le monde de la performance qui engendre ce vide existentiel.  

La nullité de la vie se présente comme une force cosmique de destruction. On assiste à une fragmentation de la conscience humaine, à une perte d’unité de sens et à la mort du sujet créateur enfoui en chacun de nous.  

On se retrouve avec des gens qui se limitent à vivre dans l’immédiat, selon leur humeur du présent. On entend souvent cette formule : « vivre au présent ». Mais cette formule, certes en partie positive, cache quand même un aspect négatif de l’ordre du nihilisme, car elle peut conduire à un rétrécissement de notre ouverture au monde. Le présent est si envahissant qu’il écrase la personne. Il ne donne aucun espoir, car sans rêve.   

Le versant positif du nihilisme c’est l’idée que les valeurs, en étant sans fondement, signifient que nous pouvons devenir des êtres créatifs. C’est une chance unique que nous avons. En n’étant plus prisonnier de certaines valeurs imposées de l’extérieur, on peut inventer nos propres valeurs qui deviennent libératrices. La personne retrouve sa capacité à rêver et à créer.  

Une vie de sens, ce n’est pas une vie béate, sans conflits, c’est une vie consacrée perpétuellement, comme une histoire sans fin, à combattre le vide qui nous guette constamment. C’est en affrontant ce vide qu’on devient plus fort en le transformant en force de vie.  

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