Comment ne pas être là où nous sommes!

1 octobre 2021 | Par Jacques Quintin | Philosophie, vol. 19, no 5

Détourner son regard des écrans qui nous entourent de toutes parts est une chose difficile, même en vacances. On est en mesure de constater que nous vivons enfermés dans un monde parallèle de messages, d’images, d’émoticônes et d’émojis à portée de la main. Comme si ce qui se tenait devant nous ne servait que de prétexte. Il suffit d’observer les gens au restaurant, à la plage ou dans n’importe quel espace public. En plus, impossible de faire une réservation quelconque de vive voix. Bref, notre iPhone est devenu un outil indispensable avec ses vertus. Difficile d’être contre le progrès. Mais étonnamment, ce même progrès génère une grande inquiétude dans nos vies.

On peut toujours se demander ce qu’il advient de l’être humain dans cette galère technologique que nous n’avons jamais choisie. Lorsqu’on réfléchit à cette réalité, sans sombrer dans une sorte de technophobie, nous ne pouvons pas nous contenter de la réponse « c’est ainsi », qui nous renvoie dans l’impensé. Il ne s’agit pas de donner une leçon de morale, mais d’élargir notre compréhension de ce phénomène qui risque de se retourner contre l’être humain en réalisant une technicisation de la communication et du rapport au monde, de sorte que la personne finit par être engloutie par un outil qui pense pour elle. De moyen de communication pour l’être humain, on inverse la perspective : l’être humain se met au service de cet outil. On constate que c’est l’idée de la communication entre les personnes qui est en cause. Car la communication est réduite à un acte de pure cognition et à un simple échange d’informations délaissant, du même coup, l’idée d’une communication existentielle tributaire de l’atmosphère qu’une personne dégage et qui nourrit notre être. Les effets de la distanciation sociale durant la pandémie sont une belle démonstration de cet appauvrissement.

La question devient celle-ci : comment en faire un usage à notre bénéfice au lieu de notre destruction? Ce n’est pas parce qu’on fait quelque chose qu’automatiquement nous devons le faire. Pour se faire une idée, il convient de mesurer les effets produits sur notre être. Sommes-nous plus heureux? Plus libres? Est-ce que cet outil permet de nous s’inscrire dans l’écoulement de notre vie? Ou, au contraire, de contribuer à la dissolution de la qualité des liens sociaux? Peut-on y voir un doux despotisme?

La recherche de sens entourant cette nouvelle réalité ne peut pas se limiter aux objectifs que nous pouvons atteindre. L’efficience ne peut pas être le seul critère. La pensée qui doit nous guider consiste à comprendre comment notre existence peut s’ouvrir à une vie plus authentique. Je ne crois pas que ces appareils et ce monde d’écrans rendent possible un éveil à l’existence. Pour cela, nous avons encore besoin de notre raison, cette capacité à penser ces idées qui traversent notre conscience, nous ébranlent, nous dépassent et nous transforment. Cependant, avec tout l’affairement de notre vie quotidienne qui jette un voile sur ce qui nous questionne de l’intérieur, cela relève peut-être davantage de l’utopie.

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