Le mal de vivre dans le bonheur!
Détaché de la vie, sans lien avec soi et autrui, on fagote au gré du vent des sollicitations. Difficile que cela soit autrement lorsqu’on vit dans une société caractérisée par les excès de tout genre. Un massage par-ci, une activité de yoga par-là, à quoi s’ajoutent un voyage, une excursion en forêt, une course extrême pour se dépasser. Et bien d’autres activités qui nous propulsent dans un rythme infernal. Les injonctions viennent de partout, ce qui laisse croire que le bonheur se situerait dans le faire et dans la consommation, même responsable.
Nous avons tellement peur de passer à côté de la vie, de manquer quelque chose d’important que nous nous sentons obligés d’en faire encore davantage. L’être humain devient accroc à la surexcitation. Vivre intensément lui laisse croire qu’il est bien vivant et libre.
Nous pouvons y voir la bonne vieille convoitise qui ne nous laisse jamais de répit. Nous ne sommes jamais satisfaits ou si peu. Nous sommes fatigués de jouir de la vie : vient le désabusement. Il n’y a pas que l’épuisement des ressources naturelles, il y a aussi celui de la psyché humaine.
Des experts en gestion de stress de tout acabit avec leurs recettes et leurs promesses de bonheur, il y en a partout. Ils affirment à souhait que si l’être humain a du mal à vivre, c’est qu’il ne sait pas comment s’y prendre. Pourtant, nous ne nous sommes jamais sentis aussi mal dans notre existence.
Toute cette tendance au souci de soi et au bien-être porte en lui-même le mal de vivre, si nous n’apprenons pas à juger par soi-même ce qui nous rapproche ou nous éloigne du chemin de la vie.
Se pourrait-il que l’être humain soit piégé par une mauvaise question : comment jouir de la vie? Qu’arriverait-il s’il se demandait plutôt comment apprécier tout ce qu’il possède déjà? S’il se posait la question du sens de ses actions. Et s’il commençait par reconnaitre le vide existentiel qui l’habite, bien plus profondément qu’il ne le pense. Alors, serait-il possible que le bonheur ne réside pas vraiment dans ce que nous faisons et consommons, mais dans une juste appréciation de ce que nous sommes déjà comme être humain?
Plus que jamais, il convient de distinguer la sensation du bien-être avec le sentiment profond que la vie est belle. Ce qui demande du temps de réflexion. Et cela n’a rien à voir avec le sensationnel et les émotions fortes qui, trop souvent, s’imposent comme des critères de vérité.
Dès lors, il convient de s'interroger sur notre rapport à tout ce que la vie nous offre. Ce ne sont pas tellement toutes ces possibilités qui posent problème que notre manque de perspective et notre foi aveugle dans le succès. On a perdu l’art de résister en posant un regard intérieur sur les choses. Si nous sommes si malades de notre empressement à vivre, alors ralentissons un peu et allons « là où il y a de la beauté », dixit la poétesse Louise Warren.