Les phobies vestimentaires
Je hais le poisson. Pourtant, je ne suis ni allergique, ni intolérant à la chose. Je fuis les étals dans les marchés où des poissons aux gros yeux, fraîchement pêchés, sont figés sur des galettes de glace. Au nombre de fois dans une semaine où je me pose l’éternelle question, qu’est-ce qu’on mange, ce choix de mets me faciliteraient pourtant la tâche. À ma défense, je dois admettre que mon éducation culinaire y est pour quelque chose. Pas ou peu de recettes à base de poisson garnissaient la table à l’heure des repas dans ma famille. J’ai développé une phobie alimentaire, et je suis en quelque sorte emprisonné dans ma marotte.
Le rapport que nous entretenons avec certains vêtements s’inscrit dans la même veine. Nous soustrayons de notre garde-robe des éléments qui nous simplifieraient la vie ou encore, nous évitons de porter des styles, des couleurs, des imprimés qui nous donneraient bonne mine. Trop souvent, ces refus sont fondés sur des perceptions erronées de ce qui nous convient ou pas et nous risquons de saboter notre image visuelle à cause de ces mauvaises évaluations de styles. À cela s’ajoutent les interdits que nous nous imposons déjà, au détriment de notre signature vestimentaire qui peut en souffrir.
Les inconforts à certaines fibres, les couleurs qui vont à l’encontre de notre teint ou les formes qui ne correspondent pas à notre morphologie peuvent expliquer certaines réticences à porter un style de vêtement, mais les prétextes y contribuent davantage. Nous figeons dans le temps une image négative d’un élément vestimentaire auquel nous associons une forme de danger (peur du ridicule, d’être marginalisé) et cela mine notre assurance.
Voici quelques exemples :
« Cette robe est parfaite pour moi. Dommage qu’elle soit rouge » — Hélène.
« J’adore ce chandail près du corps, mais le col en V me vieillit » — Nicole.
« Le tissu de cette chemise est comme un voile sur ma peau, mais cette couleur lilas est trop olé olé, audacieuse, pour un homme réservé comme moi » — Michel.
Pourquoi hésitons-nous ? Qu’est-ce qui suscite ce refus, voire cette aversion ?
« Les vraies raisons de ces rejets, souvent drapées dans des arguments pseudo-rationnels, sont parfois complexes... "Il est évident que le vêtement, comme les accessoires, le maquillage (ou son absence), c’est de l’identité profonde rendue visible, selon Marie-Louise Pierson, psychanalyste. » C’est pourquoi on peut se détester dans quelque chose qui nous met en valeur, et inversement, s’aimer dans un vêtement qui nous dessert. » Psycho-mode.
Par exemple, Hélène est marquée par les commentaires qu’elle entendait dans sa jeunesse au sujet des adolescentes qui portaient du rouge, alors associé à un comportement dévergondé, voire décadent. Nicole considère qu’à 56 ans une femme doit éviter de montrer les rides de son cou accentuées par un col en V et Michel craint d’être discrédité s’il revêt une chemise aux couleurs « criardes ». D’autres considèrent que de la broderie sur un vêtement fait mémé, certaines femmes trouvent que le rose est la couleur de l’instrumentalisation de la femme, certains modèles de bottes sont trop masculins aux dires de certaines et ainsi de suite. Nous refusons de porter des styles de vêtements, des couleurs, des détails (longueur des collets, talons trop hauts, le fluo), certaines longueurs de jupes et de robes, des tatous, des silhouettes, cela fondé sur la « référence » que nous y accordons. Voilà où le bât blesse. Certaines croyances sont d’actualité et d’autres ne sont plus adéquates. Par exemple, l’imprimé fleuri de 2023 ne se compare pas avec le fleuri de 1980, les coupes ne sont pas les mêmes, les tissus sont plus extensibles, bref, nous ne ressemblerons plus au Jardin botanique en portant le fleuri de cette année. Le lin, si prisé l’été, est davantage confortable et moins froissable que celui de 1990. Les choses changent, mais nos mauvais souvenirs peuvent nous garder dans le passé et nous faire croire le contraire. Ainsi en est-il de certaines bannières de commerces de détail que nous boycottons soit à cause du mauvais service, soit à cause de la piètre qualité des produits offerts, il y a de cela quelques années. Ces commerces ont peut-être amélioré leur politique de service à la clientèle pour le mieux aujourd’hui ainsi que la qualité de la fabrication des vêtements offerts. L’administration a peut-être changé de main, plusieurs fois, depuis notre dernière visite il y a dix ans. Pourquoi continuer à bouder une bannière alors que la revisiter pourrait nous accommoder et simplifier nos recherches, dans la mesure où ces commerces correspondent à nos valeurs ?
Pour la rentrée de l’automne 2023, avant de vous morfondre sur ce que les magasins auront à offrir, revoyez les motifs de vos choix vestimentaires. La réponse se trouvera peut-être dans le nouveau regard que vous porterez sur ce que vous fuyez depuis plusieurs années.
Luc Breton, analyste en comportements vestimentaires
« C’est bien votre style de vie et la manière dont vous voulez vous socialiser que reflète votre vêtement. Véritable surface d’exposition de vos rapports au contexte social, économique, historique, politique, sexuel, affectif, et institutionnel. » — Marie-Louise Pierson, psychanalyste