Parcours migratoire de Saïd Eljach
Originaire de la Colombie, Saïd Eljach débarque au Québec en août 2021, diplôme de psychologue en poche. Arrivé à Sherbrooke avec un français alors « fonctionnel, mais rudimentaire », dit-il aujourd’hui en riant, le professionnel s’attache vite à sa communauté d’accueil, auprès de laquelle il a appris la langue de Miron.
Un parcours scolaire supérieur
Né à Bogotá, Saïd grandit dans une famille de cinq enfants, dont il est le benjamin. Ses parents, qui ont travaillé pendant 35 ans comme poissonniers au marché de Paloquemao, ont économisé pour lui permettre d’entreprendre des études universitaires. « Je me considère chanceux d’avoir pu accéder à une éducation de qualité dans un pays où l’accès à l’instruction est très inégal », dit humblement le trentenaire, qui doit manifestement une bonne part de sa réussite à son talent et à sa persévérance.
Entre 2005 et 2011, Saïd entame en effet un baccalauréat en psychologie, avant d’être admis à la prestigieuse Université nationale de Colombie à Bogotá – un établissement particulièrement sélectif, où seuls 10 % des postulants sont retenus comme étudiants. En cours de formation, il effectue aussi des échanges universitaires à Buenos Aires et à Medellín, qui ouvriront ses horizons.
Fraîchement diplômé en psychologie, Saïd est ensuite interpellé par des questionnements sur le rôle du corps dans le processus de changement. Son « âme hippie », comme il la nomme avec humour, le porte à suivre de 2013 à 2015 une formation comme professeur de yoga en parallèle de sa jeune et florissante carrière.
Expérience professionnelle reconnue
Psychologue de talent, Saïd est rapidement reconnu dans son pays d’origine.
De 2013 à 2018, il travaille pour le ministère de la Santé et de la Protection sociale auprès des victimes de conflits armés. Après avoir accompagné des enfants, puis des familles entières, il se spécialise dans l’accompagnement des victimes de disparitions forcées.
Les disparitions forcées sont une arme de guerre employée par l’État et les guérillas. Elles consistent en l’enlèvement ou la détention arbitraire d’individus, souvent sans laisser de traces. Cette pratique vise à semer la terreur et l’incertitude parmi la population en privant les familles d’informations sur le sort de leurs proches. Selon les chiffres officiels d’Amnistie internationale, plus de 200 000 personnes ont été victimes de cette pratique en Colombie. Majoritairement, ce sont des femmes – souvent victimes de menaces et contraintes à l’exil – qui consacrent leur vie à la recherche des disparus.
Fort de son expérience auprès des victimes de disparitions forcées, Saïd continue ensuite à travailler pour le ministère comme consultant. Parallèlement, il se forge, par le bouche-à-oreille, une excellente réputation de psychologue clinicien, en offrant des services de consultations à des prix modiques. À ce sujet, il affirme haut et fort que « la santé mentale est un privilège », un privilège qu’il voudrait voir se démocratiser.
« Saïd est authentiquement sensible aux autres et à leurs histoires », lance son ami Gabriel Martin. « C’est le genre de personnes qu’on souhaite retenir au Québec, à plus forte raison dans un contexte de pénurie de psychologues ».
Une requalification ardue
Persévérant et sensible qu’il est, Saïd devra aussi demeurer patient. Comme bon nombre de nouveaux arrivants très qualifiés, il a en effet été forcé de mettre en veille sa carrière à son arrivée au Québec. Pour pratiquer dans la Belle Province, il devra réussir une série de cours supplémentaires.
Jusqu’à récemment, il devait vivre entre l’Estrie et le Bas-Saint-Laurent, afin de travailler à Sherbrooke tout en faisant une maîtrise à l’Université du Québec à Rimouski. Diplômé en octobre 2024, il célébrera sa collation des grades cette année, puis continuera ses études.
Parallèlement à ses efforts pour obtenir sa requalification, Saïd ne chôme pas. Il travaille actuellement pour Actions interculturelles de développement et d’éducation, un organisme qui veille, entre autres, à la protection des droits des travailleurs étrangers temporaires. Avec sa collègue Andrea Contreras, il anime chaque mardi soir à 18 h, depuis septembre 2023, l’émission de radio Hoy hablamos en español (littéralement Aujourd’hui, nous parlons en espagnol) sur les ondes de CIGN FM 96,7 à Coaticook. L’émission aborde des sujets pratiques, culturels et liés aux droits des travailleurs étrangers temporaires et intègre de la musique latino-américaine.
De plus, Saïd a fait du bénévolat dans deux organismes de Sherbrooke, Plein air interculturel de l’Estrie et le GRIS Estrie.
Et l’avenir ?
Que réserve donc l’avenir pour Saïd ? Il est en train d’économiser, afin d’entreprendre, en 2026, un doctorat en psychologie. Il sera sujet à une évaluation comparative, qui pourrait lui permettre de rester à Sherbrooke. « Je crois que l’accès à l’accompagnement en santé mentale est un droit fondamental et je rêve d’avoir un jour le droit d’exercer ma profession au Québec pour contribuer en ce sens. », confie-t-il.
Saïd a déposé sa demande de résidence permanente. Même s’il a rempli tous les critères d’éligibilité, il est en attente d’une réponse du gouvernement. Il craint de ne pas pouvoir rester chez lui auprès de ceux qu’il aime. « J’ai trouvé ici une famille d’amis, autant d’autres Latino-Américains que des Québécois francophones, avec qui j’ai tissé des liens importants », dit-il. Impensable alors pour lui de se déraciner une seconde fois.

▪ Source : Andrea Contreras © 2025.
Quelques questions en rafale
Ses mots préférés en français ?
« J’aime le mot chicane, car sa sonorité évoque bien ce qu’il désigne. Je trouve aussi amusant le nom polatouche, qui désigne une sorte d’écureuil volant du Québec. »
Un aliment québécois qu’il adore ?
« J’aime beaucoup les pommes du Québec, surtout les spartans, que j’ai découvertes ici. Les bines au sirop d’érable aussi c’est un plat typique très bon. »
Un plat de chez lui qu’il recommande ?
« Les gens curieux d’essayer quelque chose de différent pourraient se préparer de la changua. C’est une soupe à base de lait qui contient des oignons, de l’ail et des œufs. On la prend surtout comme déjeuner la fin de semaine. »
Les propos tenus par les personnes n’engagent qu’elles-mêmes et n'engagent aucunement les organismes liés au projet.
